Dimanche en jazz

Big Two réunit deux concerts enregistrés au Fasching Club de Stockholm les 18 et 19 avril 1980. J’ai hésité à le prendre chez le disquaire d’occasion. Du Warne Marsh, il y en a déjà plein ma discothèque, dont un excellent récital chez Fresh Sound enregistré durant la même tournée. J’aurais eu bien tort de me priver. Peu de disques, ces temps derniers, m’ont procuré autant de joie.

Marsh est dans une forme impériale. Ses lignes mélodiques sinueuses et volatiles se déploient dans l’air comme des rubans de fumée bleue. Son répertoire, on le connaît par cœur, mais on est épaté de la fraîcheur intacte et de la vélocité souvent stupéfiante avec lesquelles il enfourche des standards ou des thèmes dérivés de standards qu’il a dû jouer plusieurs centaines de fois en concert, en parvenant une fois de plus à les réinventer.

Rompu à l’art du duo, Red Mitchell est un partenaire de jeu idéal 1 : un son magnifique de chaleur et de profondeur, une walking bass élastique ponctuée d’arrêts, de rebonds, d’accords arpégés qui font chanter la contrebasse.

Il y a des soirs de club comme ça où l’alchimie est palpable, où des musiciens qui se connaissent depuis trente-cinq ans et sont en accord télépathique réussissent encore à se surpasser. Ce fut le cas ces deux soirs d’avril 1980. La prise de son est de premier ordre.

1 Voir par exemple ce chef-d’œuvre cosigné avec Lee Konitz sur des thèmes de Cole Porter, I Concentrate on You (SteepleChase).


Dimanche 22 mai 2016 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Dimanche en jazz

Formé par Anthony Braxton et Jackie McLean, Steve Lehman combine en un alliage personnel l’apport de ces deux maîtres : le goût de Braxton pour les compositions élaborées, un timbre urticant à l’alto, moins porté cependant que McLean sur le falsetto. Après des débuts dans l’ensemble de Braxton, il a enregistré une douzaine d’albums sous son nom à partir de 2001, essentiellement pour les labels Pi et Clean Feed. De ceux que j’ai pu entendre, Manifold, en quatuor sans piano à la Ornette Coleman, est celui qui m’a le moins emballé : c’est un bon concert de free-bop, balancé avec le punch qui convient, mais comme on en connaît des dizaines. En revanche, les albums en trio sont très excitants (Interface avec Mark Dresser et Pheeroan akLaff, Dialect Fluorescent avec Matt Brewer et Damion Reid). Ma préférence va toutefois aux ensembles d’On Meaning et de Mise en abîme. On Meaning est un quintette alto, trompette, vibraphone, contrebasse et batterie. Mise en abîme, un octuor alto, ténor, trombone, vibraphone, tuba, contrebasse et batterie. Leur combinaison instrumentale, la présence du vibraphone, le travail sur la texture sonore, le mariage stimulant de complexité harmonique et d’improvisation libre rappellent les albums Blue Note de la grande époque, d’Out to Lunch ! d’Eric Dolphy aux disques de Bobby Hutcherson. Nullement sur le mode du pastiche, mais à la manière d’un prolongement, frayant de nouveaux possibles dans le courant ouvert par les modernistes des années 1960 sans ignorer ce qui est advenu dans l’intervalle.

Pure Imagination (trio).
Autumnn Interlude (octuor).


Dimanche 8 mai 2016 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Dimanche en jazz (9) : Johnny Griffin


Soft and Furry

Connie’s Bounce

Johnny Griffin Quintet
Johhny Griffin (st), Julius Watkins (cor d’harmonie), Bill Lee et Larry Gales (cb), Ben Riley (bt).
New York, 7 et 18 février 1961.

Un ténor, un cor d’harmonie, deux contrebasses et une batterie : c’est la combinaison instrumentale inhabituelle de Change of Pace de Johnny Griffin (Riverside, 1961), qu’on découvre grâce à une réédition de Freshsound où il se trouve couplé avec The Little Giant (Riverside, 1958) sous le titre Johnny Griffin Quintet & Sextet. L’album tranche sur les séances de hard-bop orthodoxe que Griffin enchaînait à l’époque, on en a aimé dès les premières mesures la texture musicale, le climat chambriste innervé de swing, l’alliage de cordes frottées et de cordes pincées des deux contrebasses sur quoi Griffin jette avec panache son cocktail habituel de muscle et de sprezzatura. Soft and Furry est devenu aussitôt un morceau de chevet.


Dimanche 1 septembre 2013 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Dimanche en jazz (7) : Gil Mellé


Quadrama

Iron Works

Walter Ego

Gil Mellé Quartet
Gil Mellé (sb) et Joe Cinderella (g), avec Billy Philips (cb) et Ed Thigpen (bt) (Iron Works, 1er juin 1956) ; avec George Duvivier (cb) et Shadow Wilson (bt) (Quadrama et Walter Ego, 26 avril 1957).

On replonge ces temps-ci avec un vif plaisir dans la musique de cet intrigant saxophoniste, arrangeur et compositeur. Gil Mellé citait Bartok, Varèse et Herbie Nichols parmi ses principales influences. On suppose qu’il avait aussi prêté une oreille attentive au nonet de Miles Davis. Il compte parmi ces musiciens pour happy fews qui inventèrent dans les années 1950 un jazz de chambre aux combinaisons instrumentales inhabituelles (c’est l’époque où le tuba et le cor français font leur entrée dans les petites formations), nourri de musique « savante », de contrepoint et de polytonalité. Outre leur recherche de couleurs et de textures musicales inédites, les compositions ciselées de Mellé témoignent  d’un sens de la miniature peut-être développé au contact de la musique d’Ellington, dont il avait commencé à collectionner les disques à un âge où l’on songe plutôt à jouer aux billes.

Ce fut de fait un enfant précoce. Né en 1931 dans le New Jersey, il s’installe dès l’adolescence à Greenwich Village, vit la vie de bohème, s’adonne à la peinture et à la sculpture, et commence à se produire à l’âge de seize ans dans les clubs et cabarets new-yorkais. Il y est repéré par Alfred Lion, l’un des deux patrons de Blue Note, qui lui fait enregistrer son premier disque à dix-neuf ans. Au-delà de sa contribution musicale, Mellé jouera un rôle crucial dans l’histoire de Blue Note : versé dans les arts visuels, il participe à la création de l’identité graphique très forte du label dont il conçoit, avec John Hermansader et Paul Bacon, les pochettes des premiers 33 tours ; et c’est lui qui présentera à Alfred Lion l’ingénieur du son Rudy Van Gelder — la suite est connue. Ironiquement, c’est pour Prestige qu’il enregistrera quelque temps plus tard ses meilleurs disques, Primitive Modern, Quadrama et Gil’s Guests, avant d’entamer une seconde et féconde carrière à Hollywood où il deviendra un pionnier de l’emploi des sons électroniques dans la musique de film et de télévision (cf. notamment la B.O. du Mystère Andromède de Robert Wise).


Lundi 3 décembre 2012 | Dans les oneilles | 3 commentaires


Dimanche en jazz 6

Count Basie
Li’l Darlin’.
Wendell Culley, Snooky Young, Thad Jones, Joe Newman (tp) ; Henry Coker, Al Grey, Benny Powell (tb) ; Marshall Royal, Frank Wess, Eddie Lockjaw Davis, Frank Foster, Charles Fowlkes (sax) ; Count Basie (p) ; Freddie Green (g) ; Eddie Jones (cb) ; Sonny Payne (bt). Arr. : Neal Hefti. Prise de son : Bob Arnold. New York, Capitol Studios, octobre 1957.

La thérapeute siphonnée d’Ally McBeal a raison : il nous faut une theme song. La mienne change toutes les quinzaines. Depuis que je l’ai réentendu l’autre matin dans un bistro, c’est Li’l Darlin’ qui me suit partout, rythme mes pas, m’accompagne sous la douche. Je l’écoute tous les jours. Arrangement somptueux de Neal Hefti, texture orchestrale enveloppante, en nappes soyeuses superposées soutenues par quelques notes de baryton très graves placées juste au bon endroit pour vous faire doucement léviter1. Rhaa ! Si ma mémoire est bonne, c’est à propos de ce morceau qu’un musicien de l’orchestre louait le sens inné du tempo chez Basie. À l’origine, la partition était écrite sur un tempo beaucoup plus vif. Et Basie, immédiatement : « Mais non, c’est comme ça qu’il faut le jouer. » Comme ça : sur ce rythme voluptueusement ralenti qui dispense une ivresse entêtante. Pour un autre musicien, Li’l Darlin’ est « the perfect test of patience. That’s the hardest part about it : not rushing it ». Henri Salvador en a donné une belle version chantée, avec l’orchestre de Christian Chevallier et quelques chanteurs des Double Six, rien que ça. Sur Basie, voir aussi ici.

 

1 De tout cela, il est à craindre qu’il ne reste plus grand-chose sur des enceintes d’ordinateur. Procurez vous donc The Complete Atomic Basie, le dernier grand disque du Count (Médiathèque : UB1686).


Dimanche 13 mai 2012 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Dimanche en jazz 3

Connu surtout pour son travail de cartonniste à la télé (The Pink Panther, Mr. Magoo, puis Sesame Street et Scooby Doo), Cliff Roberts (1929-1979) illustra des livres pour enfants dans les années 1950, fit bouillir la marmite en dessinant et réalisant d’innombrables films publicitaires, éducatifs et industriels, et travailla à la pige pour de nombreux magazines, parmi lesquels Playboy et The New Yorker. Son graphisme dynamique et sa passion pour le Dixieland en faisaient l’illustrateur tout désigné de The First Book of Jazz de Langston Hughes (1955), où l’on reconnaît aisément sa patte.

Biographie illustrée de Cliff Roberts ici (en anglais).
D’autres illustrations de The First Book of Jazz ici.


Dimanche 14 mars 2010 | Au fil des pages | 1 commentaire


Dimanche en jazz 2

Roulez, tambours. C’est aujourd’hui que l’ami Tatum lance le grand feuilleton illustré que nous attendions avec impatience, Le jazz que nous préférons.
Une trentaine de personnes dont ma pomme ont été invités à concocter la liste de leurs vingt-cinq albums de jazz préférés. Point de palmarès des meilleurs disques de l’histoire du jazz — pour cela les ressources livresques ou en ligne abondent — mais l’exploration du jardin secret de chacun, promesse de belles et nombreuses découvertes. Ça démarre bien : dans la liste de Tony Verstraete qui ouvre le bal, six disques que j’avais pressentis pour la mienne et qui n’y auront finalement pas trouvé place (avec un gros regret pour Warne Marsh), et huit autres inconnus de moi que je vais m’empresser d’emprunter à la Médiathèque — bonheur et pied !

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FMR sort des oubliettes les enregistrements d’un trio pionnier de la scène free anglaise, Red Square. Entre 1972 et 1978, Jon Seagroatt (clarinette basse amplifiée et saxophone soprano), Ian Staples (guitare électrique et violon) et Roger Telford (batterie) pratiquèrent une musique galvanisante, à cheval sur le free, l’avant-rock, le noise et la musique expérimentale. Selon le communiqué de FMR (pdf ici), leur rapport pugnace au public — anticipant de quelques années l’arrivée du punk — et leur entêtement à se produire dans des salles inadéquates (clubs de folk et bars de pub-rock) les obligèrent plus d’une fois à vider les lieux en catastrophe par la porte de derrière pour ne pas se faire écharper. Le groupe s’est récemment reformé et l’on peut ouïr quelques morceaux épatants sur sa page MySpace, ou les télécharger ici.


Dimanche 31 janvier 2010 | Dans les oneilles | Aucun commentaire