Valéry et le rompol

Ne m’avez-vous pas raconté l’anecdote de la chambre de bonne de Valéry ?
François Caradec : Ah oui ! Cette chambre de bonne dans laquelle il se réfugiait pour lire des romans policiers, et qu’on lui fiche la paix. Il avait été obligé de louer cette chambre, car il adorait lire des romans policiers, et il ne pouvait pas le faire chez lui. Chaque fois qu’il en lisait un, sa femme arrivait et lui disait : « Mais, malheureux, que fais-tu ? Tu ne te rends pas compte, tu es de l’Académie française ! S’il y avait un journaliste qui arrive et te surprenne ainsi, tu aurais une belle réputation ! Arrête de lire ça ! » Il avait donc loué une chambre tout exprès, et on croyait que c’était pour des raisons amoureuses, des passades, mais pas du tout : quand il est mort, on a retrouvé plein de romans policiers dans cette chambre… Pour Paul Valéry, il faudra bien qu’un jour on ait le droit de dire ce que l’on pense de lui. Je me souviens d’avoir voulu faire autrefois, dans la collection « En verve », chez Pierre Horay, un Paul Valéry en verve, et je n’ai pas eu l’autorisation de la famille Valéry ! Or, tous les bons mots de Valéry, les vacheries qu’il a dites sur les gens, ses pensées, etc. font que l’on s’aperçoit que, la plupart du temps, la pensée la plus profonde de Valéry vient d’un calembour ou d’une contrepèterie, qu’il a arrangé ou amélioré, de telle sorte que cela ne se voie point. Il travaillait comme Raymond Roussel, finalement. C’était vraiment un écrivain. Quand on lit ses œuvres de jeunesse, on se rend compte que c’était d’abord un écrivain drôle, très anarchiste, etc. Puis, ensuite, il est devenu très académique. Et la famille, à l’heure actuelle, considère que Paul Valéry est un académicien et qu’il l’a toujours été. […]

Valéry rigolo, c’est assez inattendu, n’est-ce pas ?
F. C. : Oui mais c’est l’humour du Mercure de France, de la Revue blanche, etc., l’humour symboliste. Au fond, Valéry est un symboliste qui a mal tourné.

Propos recueillis en février 1980 par Jean-Paul Goujon.
Histoires littéraires no 43, juillet-août-septembre 2010,
dossier « Les chantiers de François Caradec ».


Paul Valéry visite à Liège l’Exposition du livre
organisée pour le cinquantenaire du symbolisme
(ce qui daterait, sauf erreur, ces images de 1936).
Photos de presse trouvées à la brocante.


Vendredi 12 novembre 2010 | Grappilles, Rompols, À la brocante |

4 commentaires
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“Paul Valéry en verve” : maintenant que j’ai ça en tête, ça n’en sort plus. Quelle géniale idée !

Commentaire par AdoréFloupette 11.16.10 @ 11:59

Merci pour ces vieilles photographies tout empreintes de nostalgie !

Commentaire par Guilhem 11.17.10 @ 8:44

Cette vision d’un Valéry polardeux et rousselien m’enchante, notamment en pensant au second Queen, The French Powder Mystery (1930), s’ouvrant sur un meurtre dans la vitrine d’un grand magasin, une cage de verre qui a rappelé Locus Solus à certains commentateurs (in Europe, Littérature Policière).
L’agencement de la vitrine était dû à un architecte français, Paul Lavery.

Commentaire par blogruz 08.07.12 @ 11:35

Valéry m’a toujours semblé accablé par la chape de son surmoi social. Mais nous, ses lecteurs, nous pouvons la soulever à sa place, et découvrir le rebelle refoulé qu’il était.

Commentaire par L'aigre de mots 05.31.15 @ 11:14



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