Sorties de presse
C’est aujourd’hui que paraissent deux livres dont j’ai eu l’immense plaisir de piloter l’édition à L’herbe qui tremble.
Daniel De Bruycker, natif de Bruxelles, prix Rossel (le Goncourt belge) pour son roman Silex (Actes Sud), avait ces dernières années délaissé la fiction au profit de la poésie (à l’exception de la publication d’une novella). L’Ombre et autres reflets marque son grand retour sur les terres de l’imaginaire. Ombres et reflets trompeurs, identités instables, œuvres apocryphes, livres truqués, villes invisibles, charmes vénéneux d’un Orient imaginaire : un bouquet de nouvelles fantastiques célébrant le pouvoir égarant de l’imagination.
Parmi les ouvrages qu’a consacrés François Rivière à des figures d’outre-Manche (J. M. Barrie, Agatha Christie, Alfred Hitchcock, G. K. Chesterton), Souvenir d’Enid Blyton est sans conteste l’un des plus personnels. Loin d’une monographie conventionnelle, il s’agit d’un exercice d’admiration entremêlant enquête sur la célèbre romancière du Club des Cinq – sa vie publique et privée, son univers, ses étonnantes méthodes d’écriture expliquant une fécondité hors du commun –, remembrances de l’auteur sur ses premières lectures d’enfance (qui furent à la source de sa propre vocation d’écrivain), réflexion sur la littérature enfantine et même des échappées dans la fiction, sous la forme d’une visite imaginaire à Enid Blyton dans sa propriété de Green Hedges. Paru chez Albin Michel en 1982, le livre est proposé ici dans une édition revue, augmentée d’une postface inédite.
Ces livres sont commandables dans toute bonne librairie ou directement sur le site de la maison d’édition, ici (De Bruycker) et là (Rivière).
Autre chose
Le début de cet article de Gérard Legrand sur l’Effrontée de Claude Miller (Positif, janvier 1986), je ne l’ai jamais oublié.
Outre qu’il résume ce que devrait être l’activité critique — tâcher d’apporter des éléments d’analyse originaux plutôt que de répéter ce qu’ont déjà écrit ses confrères —, j’y repense toujours en période de « crise ». Essayons s’il vous plaît de parler d’autre chose.
D’autre part (6)
En couverture, détail d’une photo d’Antoine Peuchmaurd
Sur le site de l’éditeur.
D’autre part (5)
En couverture, carbone d’Anne Marie Finné
Sur le site de l’éditeur.
Rentrée
Cinq cent vingt-quatre romans seront déversés cet automne sur les tables des librairies. L’emploi l’un pour l’autre des mots « écrivain » et « romancier », fréquent jusque sur les ondes de chaînes culturelles bien connues, les équivalences « littérature = roman (et rien d’autre) », « écrivain = romancier (et rien d’autre) » sont somme toute des événements récents dans l’histoire de la littérature. Ils ont de quoi agacer un brin. Je repense souvent à cette phrase de Michel Deguy dans le Comité, s’énervant contre l’avalanche des romans-de-la-rentrée : « Le roman français fait oublier la prose française. » C’est un fait.
On pourrait, presque sans provocation, composer une histoire de la littérature française (hors poésie) qui ne compterait aucun roman. On y trouverait les essais de Montaigne, les mémoires du cardinal de Retz, les caractères de La Bruyère, les lettres de Mme de Sévigné, les mémoires de Saint-Simon, les maximes et portraits de Chamfort, Monsieur Nicolas de Restif de la Bretonne, les salons de Diderot, les écrits autobiographiques de Stendhal, les Choses vues de Hugo, les écrits esthétiques de Baudelaire, la correspondance de Flaubert, les proses de Marcel Schwob, la correspondance de Pierre Louÿs, les Noctambulismes de Tinan, les Spéculations de Jarry, les nouvelles en trois lignes de Fénéon, Équipée de Segalen, les promenades de Fargue, les mélanges de Larbaud, les essais de Valéry, les récits, les chroniques et le Journal de Léautaud, les souvenirs de Colette et de Cocteau, Nadja de Breton et tant d’autres de ses proses, les carnets et les Lettrines de Gracq, la Règle du jeu de Leiris, les essais de Paulhan et de Mandiargues, les chroniques de Vialatte et de Calet, les feuilletons de Bernard Frank, les promenades de Jacques Réda, le Panégyrique de Guy Debord… J’en passe et j’en oublie. Je donne la Princesse de Clèves contre les Souvenirs de Mme de Caylus. Les romans de Montherlant ont toute chance d’être illisibles (je n’irai pas vérifier) tandis que ses carnets sont une excellente surprise.
Parmi les écrivains français contemporains, j’apprécie les essais et les essais-récits de Patrick Mauriès, les « tentatives d’épuisement » de Thomas Clerc (Petit Musée du XXIe siècle, Intérieur), les essais de Didier Blonde (ses excellents romans, Faire le mort et le Figurant, m’intéressent dans la mesure même où l’affabulation s’y greffe sur des faits authentiques d’une manière qui les rend inclassables). Je préfère les « non-fictions » d’Emmanuel Carrère à ses fictions. Les récits et reportages à la première personne de Jean Rolin sont globalement supérieurs à ses romans. La trilogie biographique de Jean Echenoz (Courir, Des éclairs et surtout Ravel) est meilleure que ses romans-romans récents. Les romans d’Alain Fleischer me tombent des mains (je m’en excuse) mais le Carnet d’adresses est une merveille. Les romans de Jacques Roubaud ne m’excitent guère (j’en suis navré) mais la singulière entreprise autobiographique du Grand Incendie de Londres est captivante. Et ainsi de suite. N’est-ce pas dans les écrits « hors genre » qu’il faut trouver le meilleur de la littérature française ? Les grands romans français, au fond, ne sont-ils pas de magnifiques exceptions ?
D’autre part (4)
En couverture, détail d’un collage de Gérard Legrand
Sur le site de l’éditeur.