Traduttore, traditore

Deux bibliophiles s’étaient attardés dans sa boutique, tandis qu’il traduisait un ouvrage anglais, et ils le dérangeaient fort par leur bavardage. Ils en vinrent à parler de la guerre de 70 et de la trahison de Bazaine.
- Messieurs, leur dit Liseux, on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu, ni d’un traître dans celle d’un traducteur.

Guillaume Apollinaire, le Flâneur des deux rives.

Éditeur fameux qui remit en circulation une centaine de textes rares - classiques latins, textes italiens de la Renaissance, curiosa - réédités en d’élégants petits volumes, Isidore Liseux (1835-1894) tint un temps librairie dans le passage Choiseul. Il mourut dans la misère dans une mansarde de la rue Bonaparte, avec neuf sous en poche.


Mercredi 28 janvier 2009 | Grappilles | Aucun commentaire


Même morts, ils continuaient

Pouvoir d’ébranlement de certains textes, de certaines phrases. On en reste saisi, le cœur en arrêt, comme au bord d’un abîme. Dans Colibris & princesses de Pierre Peuchmaurd (L’Escampette, 2004), ces deux vers de Gellu Naum :

on tapait dans une casserole en cuivre les autres nous frappaient la tête contre le loquet
(ils étaient morts depuis longtemps mais arrivaient encore à nous faire ça)

C’est à se demander quel air respiraient les surréalistes roumains. Ils font peur, ils font rire à la fois ; ils vous font vaciller jusqu’au fond de l’être. Il faut lire, ou mieux encore écouter Ghérasim Luca épuiser, essorer jusqu’au vertige les possibilités sonores de la langue (Deleuze : « Il a inventé ce bégaiement qui n’est pas celui d’une parole, mais celui du langage lui-même »). C’est proprement hallucinant, cela s’appelle Passionnément.


Jeudi 15 janvier 2009 | Grappilles | Aucun commentaire


La machine à écrire

À la page 70 de l’Annulaire, la narratrice – secrétaire-réceptionniste d’un étrange musée-laboratoire – renverse par mégarde la casse de sa machine à écrire. Des centaines de caractères se répandent sur le sol, s’éparpillent sous les chaises et dans les moindres recoins – petits insectes gris qui, tapis dans l’ombre, semblent attendre leur heure.

Et tandis qu’elle entreprend, à quatre pattes, de les ramasser un à un sous l’oeil impassible de son patron, « soudain dans mon esprit s’infiltre une question » comme chantait Jean Yanne : au fait, à quoi ressemblaient donc les machines à écrire japonaises ? Étant donné les idéogrammes, étant donné la lecture à la verticale et de droite à gauche.

Contacté par courriel, SK – tout occupé à épousseter son japonais dans la perspective d’un prochain voyage – me dit n’en avoir jamais vu. Mais il m’apprend au passage que le japonais écrit est constitué de trois types de caractères : hiragana (46 caractères pour écrire les mots japonais), katakana (46 caractères pour écrire entre autres les mots et noms issus de langues étrangères), et kanji (plusieurs milliers d’idéogrammes nés de la combinaison de clés, ou radicaux). Auxquels on peut ajouter les romaji (roma + ji = lettres romaines), notre écriture. On mesure, rayon machines à écrire, l’étendue du problème.

Une recherche ultérieure a permis d’exhumer des profondeurs du web les photos suivantes. C’est impressionnant.


Premier modèle de machine à écrire japonaise, conçu par Kyota Sugimoto en 1929.

Addendum (15/03) : d’autres images dans un billet sur Yoko Ogawa, ici.


Mercredi 14 janvier 2009 | Grappilles | 5 commentaires


No comment

When asked on a radio show to comment on one of his records, Lester Young replied: “Sorry, Pres, I never discuss my sex life in public.” Bless his sweet soul !

Lee Konitz, texte de pochette du disque Motion (Verve).


Mardi 18 novembre 2008 | Grappilles | 3 commentaires


Linge d’écoute

Ceci en son temps m’avait réjoui :

Cependant, au grand concours de la coquille qui tue, ces hardis chassuers viennent d’être surclassés par les flics de Baltimore :

Sans doute une invitation aux blanchisseuses à se cultiver entre deux lessives.


Jeudi 6 novembre 2008 | Grappilles | 2 commentaires


Les parapets du ciel

Barnabooth et Putouarey quittent Saint-Martin. Au détour de la route, en même temps que la plaine émilienne se dévoile d’un coup aux yeux des voyageurs, c’est un poème en prose qui surgit dans la narration :

Nous avons fait la route à l’intérieur de la voiture, recueillant le paysage à mesure, à travers les grandes glaces de custode. Nous redescendions la route déjà connue, traversions le Borgo, suivions des tournants, et des pentes vers Serravalle. Au-dessous de nous s’étendait la plaine émilienne, le pays d’abondance où tous les plaisirs du monde nous faisaient signe, s’annonçant de proche en proche notre arrivée, et où de grandes joies immobiles nous regardaient venir, fixement. Nous nous laissions tomber dans ce bleu illimité ; nous glissions sans heurt le long des parapets du ciel.

Valery Larbaud, Journal intime d’A.O. Barnabooth


Vendredi 26 septembre 2008 | Grappilles | Aucun commentaire


L’art de la récup’

Dans l’immédiat après-guerre, le souci principal des éditeurs était la pénurie de papier. Les premières publications du Club français du livre furent imprimées sur du papier à cartouches récupéré dans les stocks militaires : un tendre Alfa vert d’eau.

Pierre Faucheux, Écrire l’espace. Robert Laffont, 1978.
Pierre Faucheux, le magicien du livre. Cercle de la Librairie, 1995.


Dimanche 14 septembre 2008 | Grappilles, Le monde du livre | 3 commentaires