Tour de force

En refeuilletant les Très Riches Heures d’André Blavier (Plein Chant, 1997), tombé sur cet hommage cruciverbiste de Michel Laclos à l’auteur des Fous littéraires, de la Roupie de cent sonnets et d’Occupe-toi d’homélies. Comme vous le constaterez, la grille n’admet que des mots composés avec les lettres A, B, D, E, I, L, N, R, V, qui forment le nom d’André Blavier, lequel s’inscrit triomphalement au centre de la grille. Chapeau, l’artiste.

Michel Laclos : verbicruciste épris de calembours et d’acrobaties verbales, membre du Collège de ‘Pataphysique, rédacteur en chef de la revue Bizarre, 2e série, auteur du Fantastique au cinéma (Pauvert). N’a pas ménagé sa peine pour faire connaître les humoristes à son goût : anthologie Pierre Dac dans la collection « Humour secret » de Sternberg (Julliard), réédition chez Pauvert des œuvres de Cami, auquel il a consacré une monographie (Seghers), etc. Plusieurs recueils de mots croisés et de Trucs et Machins chez Zulma.

Exposition Odette et André Blavier du 17 mai au 14 juin 2009, au Musée des Beaux-Arts et de la céramique, 17, rue Renier, Verviers.


mercredi 6 mai 2009 | Grappilles | 1 commentaire


Attraction paronymique

C’est en suivant un lien de Lève ta jupe que j’ai appris ce qu’était une attraction paronymique. On désigne sous ce terme le processus par lequel l’usage transforme un nom de lieu dont le sens est mal compris, ou ne l’est plus, en lui substituant par association d’idées un quasi-homonyme de consonance plus familière.

Ainsi le ruisseau Arbour devint-il avec le temps le ruisseau à Rebours, tandis que l’île du Corossol (du nom du navire y ayant fait naufrage au XVIIe siècle) fut rebaptisée île du Carrousel. Le passage d’une langue à une autre favorise naturellement ce type de déformation. La rivière que les Montagnais nommaient Wanamane, les colons français la renomment rivière La Romaine. Parce que les Anglais employaient le terme de meeting pour désigner les rassemblements religieux, tel lieu-dit de Roxton Pond (Cantons de l’Est, Québec), où se dressait une chapelle, s’appelle aujourd’hui la Petite-Mitaine. Quant au cap d’Espoir, il s’est changé en son contraire en devenant en anglais Cape Despair. Ces exemples sont cités par la commission de toponymie du Québec.

Mon préféré dans le genre reste la Rotten Row de Hyde Park, qui s’appelait à l’origine… route du Roi.


samedi 28 février 2009 | Grappilles | Aucun commentaire


Couleur lilas

Blake Edwards : Tout a commencé la nuit où je suis allé à cette party…
Julie Andrews : Bien avant que tu me connaisses.
Edwards : Juste. Je n’avais pas encore fait la connaissance de Julie. À cette soirée, il y eut une discussion sur ces individus qui se trouvent catapultés vedettes du jour au lendemain, et les raisons expliquant ce phénomène. Lorsque le nom de Julie fut mentionné, je prononçai une phrase dont l’impact sur l’assistance fut tel que, le jour suivant, je reçus un coup de fil de Joan Crawford (qui n’était pas présente à cette soirée, et que je n’avais jamais rencontrée) me disant que c’était la réplique la plus drôle qu’elle ait jamais entendue. Les gens étaient en train de se perdre en conjectures sur ce qui avait fait le succès de Julie et, juste au bon moment, j’ai lancé: « Je vais vous dire très précisément de quoi il retourne : elle a du lilas à la place des poils pubiens. » Lorsque le calme fut revenu, Stan Kanen, de l’agence William Morris, me dit : « Avec ta veine, tu vas finir par l’épouser. » Et avec ma veine, c’est ce que j’ai fait ! […] Et maintenant elle m’offre du lilas à chaque anniversaire de mariage.
Andrews : Dans tous les sens du terme, n’est-ce pas Blake ?
Edwards : Oui, chérie.

Playboy, décembre 1982.

 

L’anecdote est relativement connue, mais j’adore la manière éminemment edwardsienne avec laquelle elle est amenée, exactement comme un gag de ses films: le sens de la mise en place (dans une party, bien sûr), l’effet avant la cause, la précision du timing (juste au bon moment), l’alliage détonnant de scabreux et de sophistication, l’explosion finale d’euphorie. (Sans oublier la complicité érotique suggérée.) C’est, virtuellement, une leçon de mise en scène. Le Lorsque le calme fut revenu m’enchante à chaque lecture.


vendredi 6 février 2009 | Grappilles | 4 commentaires


Roussel tel qu’en lui-même

Un magnifique tableau-hommage à Raymond Roussel, qui ne laisse pas de me fasciner.


La femme invisible. À la mémoire de Raymond Roussel
Huile sur toile 195 x 130 cm
Tableau peint par la machine de Louise Montalescot

Non seulement la toile est truffée d’allusions, mais sa facture minutieuse fait en soi écho à l’écriture de Roussel.


Beaucoup d’autres détails à découvrir ici :
http://in-memoriam-raymond-roussel.over-blog.com

Et pour les non-rousselophiles, le fameux portrait de l’auteur d’Impressions d’Afrique dont s’est inspiré l’artiste.


jeudi 5 février 2009 | Grappilles | 2 commentaires


Jarry en réduction

Et revoici le demi-étage de Jarry dont on avait parlé ici. L’immeuble en question, nous avait alors appris Roland de Chaudenay, se trouve rue Cassette et abrite la librairie Bruno Sépulchre.

– Monsieur Alfred Jarry ?
– Au troisième et demi.
Cette réponse de la concierge m’étonna. Je montai chez Alfred Jarry qui effectivement habitait au troisième et demi. Les étages de la maison ayant paru trop élevés de plafond au propriétaire, il les avait dédoublés. Cette maison, qui existe toujours, a de cette façon une quinzaine d’étages, mais comme, en définitive, elle n’est pas plus élevée que les autres, elle n’est qu’une réduction de gratte-ciel.
Au demeurant, les réductions abondaient dans la demeure d’Alfred Jarry. Ce troisième et demi n’était qu’une réduction d’étage, où, debout, le locataire se tenait à l’aise, tandis que, plus grand que lui, j’étais obligé de me courber. Le lit n’était qu’une réduction de lit, c’est-à-dire un grabat : les lits bas étant à la mode, me dit Jarry. La table à écrire n’était qu’une réduction de table, car Jarry écrivait couché à plat ventre sur le plancher. Le mobilier n’était qu’une réduction de mobilier qui ne se composait que du lit. Au mur était suspendue une réduction de tableau. C’était un portrait de Jarry dont il avait brûlé la plus grande partie, ne laissant que la tête qui le montrait semblable au Balzac d’une certaine lithographie que je connais. La bibliothèque n’était qu’une réduction de bibliothèque, et c’est beaucoup dire. Elle se composait d’une édition populaire de Rabelais et de deux ou trois volumes de Bibliothèque rose. Sur la cheminée se dressait un grand phalle de pierre, travail japonais, don de Félicien Rops à Jarry, qui tenait le chibre plus grand que nature toujours recouvert d’une calotte de velours violet, depuis le jour où le monolithe exotique avait effrayée une dame de lettres tout essoufflée d’avoir monté au troisième et demi et dépaysée par cette grande chamblerie démeublée.
– C’est un moulage ? avait demandé la dame.
– Non, répondit Jarry, c’est une réduction.

Guillaume Apollinaire, le Flâneur des deux rives.


vendredi 30 janvier 2009 | Grappilles | 2 commentaires


Traduttore, traditore

Deux bibliophiles s’étaient attardés dans sa boutique, tandis qu’il traduisait un ouvrage anglais, et ils le dérangeaient fort par leur bavardage. Ils en vinrent à parler de la guerre de 70 et de la trahison de Bazaine.
– Messieurs, leur dit Liseux, on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu, ni d’un traître dans celle d’un traducteur.

Guillaume Apollinaire, le Flâneur des deux rives.

Éditeur fameux qui remit en circulation une centaine de textes rares – classiques latins, textes italiens de la Renaissance, curiosa – réédités en d’élégants petits volumes, Isidore Liseux (1835-1894) tint un temps librairie dans le passage Choiseul. Il mourut dans la misère dans une mansarde de la rue Bonaparte, avec neuf sous en poche.


mercredi 28 janvier 2009 | Grappilles | Aucun commentaire


Même morts, ils continuaient

Pouvoir d’ébranlement de certains textes, de certaines phrases. On en reste saisi, le cœur en arrêt, comme au bord d’un abîme. Dans Colibris & princesses de Pierre Peuchmaurd (L’Escampette, 2004), ces deux vers de Gellu Naum :

on tapait dans une casserole en cuivre les autres nous frappaient la tête contre le loquet
(ils étaient morts depuis longtemps mais arrivaient encore à nous faire ça)

C’est à se demander quel air respiraient les surréalistes roumains. Ils font peur, ils font rire à la fois ; ils vous font vaciller jusqu’au fond de l’être. Il faut lire, ou mieux encore écouter Ghérasim Luca épuiser, essorer jusqu’au vertige les possibilités sonores de la langue (Deleuze : « Il a inventé ce bégaiement qui n’est pas celui d’une parole, mais celui du langage lui-même »). C’est proprement hallucinant, cela s’appelle Passionnément.


jeudi 15 janvier 2009 | Grappilles | Aucun commentaire