La vie des papes

L’histoire de la papauté du IXe au XIe siècle racontée par Stendhal, c’est aussi fou que du Monty Python. Un défilé accéléré de complots, de corruption, d’usurpations de pouvoir, de torture, d’empoisonnements et de dépravation. J’en recopie quelques extraits ; il y a en ainsi quinze pages auxquelles le style télégraphique de Stendhal imprime un tempo allègre, irrésistible.

Pendant qu’on lui nommait un successeur, Jean XII ne restait pas oisif. Othon, pour être moins à charge à la ville de Rome, avait eu l’imprudence de renvoyer une partie de ses troupes allemandes. Jean XII corrompit, à force d’argent, la populace de Rome, qui essaya d’assassiner l’empereur et le nouveau pape Léon VIII. Le peuple fut repoussé par la garde impériale, qui tua beaucoup de Romains, et le carnage ne cessa que lorsque les larmes de Léon VIII parvinrent à toucher l’empereur. Ce prince quitta Rome. Léon VIII n’étant plus soutenu par la présence des Allemands, tout le peuple se souleva contre lui et rappela Jean XII. Ce pape signala sa rentrée dans Rome par les cruautés d’usage en pareille circonstance. Il fit couper le bout de la langue, deux doigts et le nez au malheureux Léon VIII.

[…]

Othon le Grand mourut ; à Jean XIII avait succédé Benoît VI. Le cardinal Boniface s’empara de la personne du pape, le fit étrangler en prison, et se fit pape. Boniface siégeait à peine depuis un mois, quand il s’aperçut que la place n’était pas tenable. Il s’enfuit à Constantinople avec les dépouilles de la basilique du Vatican. Il eut pour successeur Benoît VII. À la mort de ce pape, Boniface partit de Constantinople pour venir tenter la fortune à Rome ; il y trouva un nouveau pape, nommé Jean XIV. Boniface l’emporta sur lui, et le premier usage de son pouvoir fut d’enfermer Jean XIV dans le tombeau d’Adrien et de l’y laisser mourir de faim. Pour intimider les partisans de Jean XIV, son cadavre fut exposé aux regards du peuple. Bientôt après, Boniface périt; son corps battu de verges et percé de coups fut traîné par le peuple devant la statue de Marc-Aurèle.

Il est évident que l’élection d’un souverain avait quelque chose de trop raisonnable pour ce siècle barbare.

[…]

L’Église romaine jouit du calme pendant une vingtaine d’années. L’an 1024, le pape Benoît VIII étant venu à mourir, Jean XIX, son frère, qui était encore laïque, acquit le pontificat à prix d’argent. Neuf ans plus tard, le frère de ces deux papes acheta la papauté très cher pour son fils, qui n’était alors âgé que de dix ans.

Le sort de cet enfant est singulier. Benoît IX, c’est son nom, n’avait encore que quinze ans quand il fut chassé, pour la première fois, par les principaux seigneurs de Rome ; il s’adressa, comme à l’ordinaire, à l’empereur d’Allemagne, qui le replaça par la force sur son siège. Mais ce pape de seize ans était fort libertin ; il faisait mettre à mort les maris dont les femmes lui plaisaient. Les grands seigneurs de Rome prirent la résolution de nommer un autre pape. Un évêque, qui prit le nom de Sylvestre III, les paya fort cher, et fut intronisé.

Trois mois après, Benoît IX, soutenu par ses parents, remonta sur le trône ; mais il était accoutumé à une vie voluptueuse ; il se voyait des ennemis puissants ; il prit le parti de vendre le pontificat à un prêtre romain, plus militaire qu’ecclésiastique, qui se fit appeler Grégoire VI. Grégoire prit un adjoint appelé Clément. Ainsi il y eut trois papes, et même cinq, si l’on veut compter Benoît IX et Sylvestre III, qui n’étaient point morts.

Grégoire VI, Sylvestre III et Benoît IX s’étaient partagé la ville de Rome. Grégoire siégeait à Saint-Pierre, Sylvestre à Sainte-Marie-Majeure, et Benoît à Saint-Jean-de-Latran.

L’empereur Henri III tint un concile à Sutri, en 1046. Les pères déclarèrent nulles les élections de Benoît, de Sylvestre et de Grégoire. L’empereur engagea les Romains à nommer un pape ; ils s’y refusèrent. Henri convoqua à Rome les évêques qui avaient composé le concile de Sutri ; enfin, comme il était aisé de prévoir, le choix tomba sur un Allemand.

À peine une année s’était-elle écoulée, que ce pauvre homme fut empoisonné par Benoît IX, qui réussit ainsi à remonter, pour la troisième fois, sur le siège de saint Pierre.

Stendhal, Promenades dans Rome (1829).


Mercredi 27 février 2019 | Grappilles, Pages | Aucun commentaire


Typo des villes (53) : Suse





Tabac, billets de loterie, parfums : les produits de première nécessité.




Dimanche 22 juillet 2018 | Pages | Aucun commentaire


Chambres


Bruxelles, avenue Brugmann


Lundi 6 novembre 2017 | Pages | Aucun commentaire


Ce que contient l’océan

Et le décor ? l’inévitable décor d’océan se donnant comme panorama et comme infini contenant : mille millions (un petit peu plus) de kilomètres cubes d’eau salée mêlée de chair humaine et de poissons en proportions inégales, et là-dedans des harengs frais, des requins-marteaux, des baleines à nez de bouteille et des marsouins hourra, des baleines à tête d’enclume, des poissons-clowns, des poissons-chats, des hippocampes comparés quelque part à des allumeurs de réverbères, des bélugas, des huîtres perlières, d’autres qui ne le sont pas, ne le seront jamais, et se sont fait une raison, des baudroies, des encornets, les restes de la croisade de 1212, les théières de vermeil destinées au roi Charles d’Angleterre coulées en 1633 entre Burntisland et Leith — théières suivies dans l’ordre (à travers un fond trouble) de pianos droits, de lingots d’or ou plus sûrement de pioches de chercheurs d’or bredouilles, de pantoufles et chemises de nuit, extraits de naissance, avis de décès, jeux d’échecs, grille-pain, portes tambours, brosses à reluire, jetons de téléphone, bibles traduites en cent vingt langues, Grand Albert et Petit Albert, livres de bonnes manières, banjos, trompettes, harmonicas, fausses couronnes du roi Richard III, casquettes de marin, fraises élisabéthaines, pages brûlées de Nicolas Gogol, buste de Tibère, cafetières italiennes et cafetières américaines, un Catalogue systématiques des mammifères marins, des partitions de Jerome Kern, un livret d’Oscar Hammerstein, un gramophone, un Betta splendens (un parmi des milliers), un clystère, le pendentif de Rita Flowers, le diadème du Toboso, une trousse de toilette ayant appartenu à Josef von Sternberg, une autre à Erich von Stroheim, l’épave complète du Chancewell, les images perdues de A Woman of the Sea, les espadons manqués par Hemingway, les habits démodés du signor Da Ponte, l’épave du bateau d’Abissai Hyden, tous les ingrédients du cocktail Manhattan hélas trop éloignés les uns des autres, des téléviseurs, des machines à laver, un petit traité sur l’immortalité qui n’a pas dû convaincre grand monde, la pique d’un violoncelle et x couronnes de fleurs en hommage aux marins noyés.

Pierre Senges, Achab (séquelles). Verticales, 2015.

On n’en est qu’aux premières pages d’Achab (séquelles). On ignore donc si le roman de Pierre Senges nous ménagera d’autres listes aussi virtuoses. Mais on est déjà frappé de ce que l’énumération est l’un des tours préférés de l’auteur. Le goût de la liste ressortit bien sûr au plaisir gourmand d’inventorier le monde. Cependant, j’y vois ici quelque chose de plus, qui est de l’ordre de la respiration du texte. Qu’elle soit descriptive ou narrative, la phrase, chez Senges, procède fréquemment par juxtaposition, avec un sens du tempo très sûr qui se communique au rythme de la lecture. Avant même d’avoir compris ce qui vous arrive, ça y est, vous êtes embarqué, Senges vous a harponné aussi sûrement qu’Achab sa baleine, c’est épatant.

On notera enfin, dans l’extrait ci-dessus, comment les motifs de Broadway et de Hollywood — sans oublier le cocktail Manhattan — sont introduits subrepticement aux toutes premières pages du livre, à la manière d’une ouverture d’opéra ou de musical énonçant-annonçant tous les thèmes de l’œuvre à venir : le roman raconte comment le capitaine Achab, ayant survécu à son combat contre Moby Dick, tente de vendre au plus offrant son histoire de baleine, sous forme de comédie musicale, puis de scénario de cinéma. Au générique de cette aventure, une distribution éblouissante où Cole Porter et Cary Grant côtoient Orson Welles et Francis Scott Fitzgerald.


Mercredi 23 décembre 2015 | Pages | Aucun commentaire


Jean-Jacques Pauvert

Comment un jeune homme de dix-neuf ans, lecteur boulimique dès l’enfance, renvoyé de tous les établissements scolaires, entré à quinze ans comme apprenti vendeur à la librairie Gallimard, puis devenu courtier — et quelque peu trafiquant — en livres rares, se mit-il sur un coup de tête à publier des plaquettes signées Sartre ou Montherlant, des lettres de Flaubert dont le texte était édulcoré dans l’édition officielle de sa correspondance ? D’où lui vint l’idée folle de mettre en chantier, à la fin des années 1940 — il avait vingt et un ans —, la première édition intégrale et non clandestine des œuvres complètes de Sade ? Soixante ans plus tard, dans ses passionnants mémoires la Traversée du livre, Jean-Jacques Pauvert s’interrogeait encore sur ce « mouvement instinctif » qui fit de lui un éditeur : « Est-ce que ce n’est pas pour comprendre vraiment quelque chose que je veux le mettre au jour, le donner à lire ? »

Lire la suite sur Karoo.

Merci à Charles Tatum d’avoir retrouvé la trace en ligne de la remarquable préface de J.-J. P. à l’Enfer du sexe.


Mardi 30 septembre 2014 | Pages | Aucun commentaire


Rencontre au sommet

Dimanche soir [19 avril 1914]

Ta carte de Gand m’arrive aujourd’hui. Merci de m’avoir écrit de là-bas. Je n’y suis retourné qu’une fois, en 1892 ou 93, accompagnant Debussy qui – visite fameuse – allait demander à Maeterlinck la permission de mettre Pelléas en musique. C’est moi qui ai parlé pour lui, parce qu’il était trop timide pour s’exprimer lui-même ; et comme Maeterlinck était encore plus timide que lui et ne répondait rien du tout, j’ai répondu aussi pour Maeterlinck. Je n’oublierai jamais cette scène.

Mille lettres inédites de Pierre Louÿs à Georges Louis, 1890-1917.


Mardi 20 janvier 2009 | Pages | 1 commentaire