LA CHAISE
Non
il n’y a pas d’ascenseur
pour aller
rejoindre l’avion
juste une chaise
au milieu
du jardinNatalie Thibault, Comme un papillon
avec une aiguille dans le cœur. L’Oie de Cravan, 2014.
LA CHAISE
Non
il n’y a pas d’ascenseur
pour aller
rejoindre l’avion
juste une chaise
au milieu
du jardinNatalie Thibault, Comme un papillon
avec une aiguille dans le cœur. L’Oie de Cravan, 2014.
ma voix
je me l’enlève
le matin
et je la regarde
s’étrangler
là
comme ça
devant moi*
Tu viens me manger des clous dans la main. À la nuit tombée, je te ronge le dos. Je n’ai rien contre tes vertèbres, j’écoute et ta chair palpite. Les trous de la pluie sont là, je ne peux pas les colmater. Petits nous glissions sur des ardoises vers le fleuve. Depuis, notre bouche s’est brisée, on a des dents dans la langue. Quand débarquerons-nous ? Les berges sont froides, les galets dans l’eau.
Alexis Alvarez Barbosa, Exercices de chute.
L’Arbre à paroles, 2014.
À la page des champs
au-dehors
ou contre le mur de la nuit
j’en reviens toujours
à ces voix endormies
au fond de nous
et que l’encre contientcomme un feu sous la neige.
Christophe Mahy, la Flamme du seul.
L’Herbe qui tremble, 2014.
il restera une clairière vide
un corps étendu dans le coin
gauche à l’orée du bois
sans vie qui rayonne
une fine lumière rosée
sur le corps de la morte prendra
toutce sera la morte rêvée
la morte en moi
la descendanteDiane Régimbald, L’insensée rayonne.
Le Noroît/L’Arbre à paroles, 2014.
L’hiver, le plein hiver, ce fut notre saison spacieuse,
de nuit en nuit la reconduction des prodiges :
dès que nous baissions les paupières, où étions-nous ?
où nous allions, nous n’étions pas des étrangers ;
nous partions en voyage, et la preuve,
au retour, ces fleurs, ces hautes vagues qui vacillent,
sur les carreaux le gel avait saisi notre buée,
et nous réalisions l’œuvre nocturne
sans nous y ajouter, en approchant la bouche,
en laissant ruisseler le givre, la lumière
rutiler, nous esquissions alors d’un doigt timide,
peu à peu enhardi, un arbre ou un oiseau,
nous lui donnions dans le jardin le profil d’un navire.
Incessamment coïncideront le bas de la page,
la fin du voyage, le port ni le royaume,
nous ne les possédons, mais l’esprit libre de l’enfance
au creuset du sommeil, au cours des années aussi bien,
persiste malgré nous et nous déborde.Pierre Dhainaut, l’Autre Nom du vent.
L’Herbe qui tremble, 2014
Dans la salle, cette fois, le scandale de la présence éclatait au grand jour. Tous les prétendus se tournèrent vers le vieux mendiant.
– Qui es-tu, étranger ? s’exclama Sese Sekolonial, leur chef.
– « Étranger » ? Tu m’appelles « étranger » ? Alors que personne sur la Terre ne peut dire mieux que moi en cet instant : « Je suis dans mon pays ! »
Pénélopongo, qui, distraite jusque-là par son discours, n’avait pas prêté attention au vieillard, sursauta en entendant sa voix pénétrer ses oreilles.
– Ulysse ! s’écria-t-elle.
– Ulysse Lumumba, frémirent les prétendants.
– Oui, je suis revenu, sur les ailes d’une déesse, pour vous chasser et vous anéantir, vous les prétendants, à commencer par toi, le traître des traîtres, Sese-le-léopard !
Ulysse Lumumba se mit alors à chanter un poème dont les mots s’usèrent par la suite à force d’être répétés, le soir, lorsqu’un ancien raconte cette histoire à ses petits-enfants. La seule trace sûre est constituée de ces trois vers :La plaine et la montagne
La forêt et le fleuve
Le soleil, les eaux qui pleuvent.Et avant la fin de ce long poème dont il ne reste aujourd’hui qu’une bribe, les prétendus avaient rejoint le néant. Ils avaient fondu, étaient partis en fumée, comme des corps coupés en morceaux et jetés dans l’acide.
Nul n’a jamais pu décrire les retrouvailles d’Ulysse Lumumba, de sa femme et de son fils. On sait seulement que celui-ci, après quelques heures, demanda à son père :
– Quelle est la déesse, qui après t’avoir abandonné durant quarante ans dans le néant, t’a conduit jusqu’à nous ? Serait-ce Pallas Athéna ?
– Non, ce n’est pas Pallas Athéna, mon fils, c’est l’Histoire.Laurent Demoulin, Ulysse Lumumba.
Le Cormier, 2014
DÉJEUNER SUR L’HERBE
sous le trapèze des abeilles
je coupe avec la tranche des caresses
un cerisier qui est un cou de femme
où pendent dix ruisseaux de selassise sur une musique d’herbe
elle lit nue un bouquet de tulipes blanches
un faisan court entre les ors
de ses cuisses évadées des gouttièresSes cheveux donnent des céréales au vent
et l’épervier lui porte une auréole
dans l’œil une chenille joue de la harpe
la lente mélodie du chaud mâchicoulisses cils taillent l’aigue-marine
d’une ouverture de nuage
par la magie des joues frottées au marbre
elle sait le sourire des rivièresHubert Antoine, Tohu-bohu et brouhaha.
Le Cormier, 2013