La poésie ce matin (11)

venir scander le jour est un règne d’attente, venir sonner les heures un décompte sans fin, espoir et distraction où le hasard fait mouche, la chute d’une étoile, le verbe qui prend forme, mais le refrain demeure

petits ou grands
corbeaux corneilles
traversent l’œil
plombent le temps

les oiseaux s’en reviennent, l’arbre trace l’escale, la phrase son phrasé, les mots couleur de feuilles s’en vont parler au vent, la terre ouvre ses champs aux accents d’un éveil : un morceau de ciel clair

le temps c’est soi-même on le sait

Philippe Jones, Parenthèses.
Le Cormier, 2013


Samedi 27 avril 2013 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


La poésie ce matin (10)

Je viens d’un monde disparu Montréal des autobus bruns des photos noir et blanc dans mon passeport de l’Expo 67 d’un père à cheveux longs je croise Paul Rose à la place Longueuil les bouteilles de vin rouge remises dans un sac de papier derrière un comptoir unique je viens du temps des camps de chasse de la bière à tizoune de toute une peuplade avec des prothèses dentaires des curés frappeurs d’enfants des skidoos jaune banane j’appartiens au peuple le plus pauvre de la planète qui traverse l’histoire dans son boat people linguistique mon existence subventionnée clignote entre les souvenirs perclus de ma francité mon père était Mao Tsé Toung mon grand-père Hô Chi Linh mes oncles Che Guevara et Trotski non mon père était canadien-français passager clandestin en cale sèche de l’histoire je le revois depuis cette enfance à double fond tournant dans l’araignée de la Ronde je suis à sa place après lui dans ce voyage sans commencement adulte dans un manège immobile

Christian Saint-Germain, Tomahawk.
Le Noroît, 2012.


Mercredi 6 juin 2012 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


La poésie ce matin (9)

Librement d’après Franz Kafka, « la Métamorphose » (1915)

 

Une tache.
Un blockhaus.
Une baraque servant de palace.

Une nouvelle séance se termine.
C’est le matin, toujours le matin.
La lumière grise ne changera plus.

Le mur est le même des deux côtés.
Le sol, le ciel, le bois aussi.
L’écran, un tain sans miroir.

Qui se lève ?
Qui regarde les voisins
Qui le regardent ?

Le silence se tait.
Le projecteur bloque la sortie.
Il y a dans l’air de l’électricité sans courant.

Au sortir du rêve
Les spectateurs s’éveillèrent transformés
En feuilles mortes.

Jan Baetens, Autres Nuages.
Les Impressions Nouvelles, 2012.


Vendredi 16 mars 2012 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


La poésie ce matin (8)

SENTENCE

L’hiver tord les barreaux de laine
Le jour enfonce des épingles dans le cœur

Bloc de la serrure, foudre des clés
Porte dérobée dans le ventre
Sac sur le pliant, capuchon bas
Honte de la laideur de la chambre
Tiédeur du feu, lenteur de midi
Sourire à reculons sous le miroir des lustres
Et la targette repliée, et le souffle
Des courts baisers maladroits

Le plein soleil d’un torse transparent
L’orgueil des mers égéennes
Et le moulin le poivre l’épice la semence

L’heure tourne. L’hiver étrangle
Le minuscule avion qui a perdu la mer.

Luc Dellisse, Ciel ouvert.
Le Cormier, 2012


Lundi 20 février 2012 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


La poésie ce matin (7)

un matin on regarde ses mains
sans comprendre
on cherche des clés dans ses poches
et c’est toute la vie qu’on perd
on se retourne encore une fois
il n’y a déjà plus personne
une voix demande les petits, ça va ?
quelque chose se déchire
dans le corps c’est déjà la nuit
on empile des assiettes et toute cette bouillie
toute cette absence dans la gorge
on serre les dents pour qu’aucun cri aucune peur rien
quelqu’un tousse demande encore ils ne sont pas
malades au moins ?

on a les mains coupées par le noir

Véronique Daine, la Division des choses.
Le Taillis Pré, 2010


Dimanche 5 décembre 2010 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


La poésie ce matin (6)

Je t’aime tentation cloche-pied
accrocheuse goupil
amour claque
qui casse mes dents
à terre
frottent le vieux sale
piquent au nez
tendresse saccadée au sécateur
fille alerte
allume
ma tête alourdie
scrap tout
klic claque
dans le vif
autoroute mal faite
patchée au gafer
croque-cervelle matin
yeux doux
offre-moi
un exil auditoire
dans la sourdine urbaine
de ton nid.

Pascal-Angelo Fioramore, Têtagoise. Rodrigol, 2010


Dimanche 6 juin 2010 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


La poésie ce matin (5)

un matin dans cette immobilité
qui regarde venir
la lumière,
qui regarde cela de la lumière qui est venant
et qui vient, sans cesse, qui jamais ne se retire
qui continue à venir bien au-delà de nous,
bien au-delà de nos corps
qui n’existent qu’à être traversés,
on pense à ce lieu de nous qu’on ne sait pas rejoindre,
on pense à ce lieu
de nous où habiter a lieu, où habiter a lieu comme
hors de nous
et jours hors de nous,
commencement de jour hors de nous avec moutons
posés sur l’herbe
et éclairage public
la nuit n’existe pas, c’est la peur qui existe
la peur la perforation, et la lumière
qui ne cesse de vieillir

Véronique Daine, R. B.
L’Herbe qui tremble, 2010.


Mardi 30 mars 2010 | La poésie ce matin | Aucun commentaire