La poésie ce matin (4)
LEÇONS DE NOYADE
Tout est rendu facile
tout est futile
tout est exil
tout est sans fil.
Tout m’habite et
des termites mangent
ma gueule de bois.
Je suis lent et
l’eau monte
l’eau descend
les escaliers
d’une maison
où l’on donne des
leçons de noyade.
Pour moi
tout est surréel
depuis que
Gala a floshé
Paul Éluard
pour Salvador Dali.
Patrice Desbiens, En temps et lieux. L’Oie de Cravan, 2007.
*
Il serait si facile, avec un tel matériau, de faire des mauvais vers (d’ailleurs, les exemples abondent) qu’on est épaté par le naturel désarmant avec lequel Patrice Desbiens, poète franco-ontarien vivant à Montréal, fait surgir la merveille ou l’étrangeté au sein de la plate réalité urbaine ou du quotidien navrant, envisagés tour à tour avec mélancolie et dérision. La petite musique de l’auteur se fait aussi agréablement entendre dans Désâmé (Sudbury, Prise de parole, 2005).
La poésie ce matin (3)
LES VILLES SONT UNE
C’est en passant
par la rue Delcourt
que j’ai découvert la Mouffe ;
un passage public cachait l’Atlantique
et les anciens faubourgs de Montréal
dormaient sous la montagne Sainte-Geneviève.
Dans mon rêve,
il y avait un musée entre
42nd Street et le Boul’Mich
et nous avons fui Manhattan
pour errer près des jardins du Luxembourg.
Au petit matin, en passant
près de la gare du Nord,
la rue du Faubourg-Poissonnière
menait aux Trois-Pistoles,
et le traversier attendait
pour descendre sur Barcelone.
La mer est belle :
partons.
Maxime Catellier, Bancs de neige.
L’Oie de Cravan, 2008.
La poésie ce matin (2)
Le jour,
sa confiscation par le soir,
l’ariette oubliée dans la ruelle en pente
par où tu rentres chez toi.
Le faisceau du clair de lune
sur les vélos accolés, les boîtes de paperasses,
les bouteilles vides – bouteilles qu’emplissent,
par le carreau de la remise,
les rayons laiteux de minuit.
C’est rue Préfontaine,
ce pourrait être ailleurs,
cette convergence de motifs
– ce bouquet de riens qui t’est tout.
Gabriel Landry, l’Œil au calendrier.
Québec-Amérique, 2007.
*
Le regard qui s’exerce ici conviendrait aux almanachs, car c’est celui d’un promeneur dont le pas est pour ainsi dire réglé sur un agenda saisonnier. Marcheur d’un quartier, qui cherche à en capter les pulsations les plus discrètes, et marcheur au long du temps qui passe car, en effet, les 196 morceaux de ce recueil sont autant de cases marquées au fil de l’an qui fait le tour, comme a dit un poète de la Renaissance. Choses vues, donc, de l’œil du faiseur de poèmes. Mais l’œil au calendrier, c’est aussi celui du calendrier, formidablement impassible, l’œil coi du temps qui nous regarde passer sous ses ponts. L’arroseur est arrosé : le voyeur est vu. Et peut-être aussi l’œil qui était dans la tombe et regardait Caïn ! Celui de la conscience qu’on a, qu’on acquiert, de la réalité changeante, fuyante, imprenable. Cet œil n’est pas toujours aiguisé comme il faudrait : le poète n’est pas toujours un bon « private eye ». Il arrive même qu’il se mette un doigt dans l’œil ! (Prière d’insérer.)
La poésie ce matin (1)
ÉCRIT POUR L’OCCASION
Sur trois canards
plus gris que l’herbe
la pluie tombait
la mer tombait
Sur tes genoux très roses aussi
la nuit tombait
la pluie tombait,
et sur l’élan dans son désert
des langues de sel et de beurre rance
Des chutes de reine finissaient l’an
le feu des vitres montait aux joues
Vinrent des soleils de plus vieilles laines
des ciels d’hiver dans les miroirs
des boues de glace et de sang sec,
vinrent des filles longues armées de dieux
des nains épars et des épieux
des rampes de neige cachant leur fer
et vinrent de petites bêtes
de petites lèpres, de petites lunes,
vinrent des massues et des écluses
des pluies de bronze sur le papier
On écrivait la bouche ouverte
le prix des choses qu’on oubliait
le bruit des chiens quand on les casse
les nuits de chasse dans les couloirs
on écrivait pour l’occasion
pour l’herbe tendre des couteaux,
un singe roux sur le cœur
on écrivait le mot charbon
Vinrent des râpes, des retours
des combats de basse lice,
vinrent des enfants d’avril
avec plusieurs yeux mauves
et qui n’écrivaient pas
et qui touchaient le vent
Des fleurs énormes
guidaient le feu vers les rideaux
Pierre Peuchmaurd, Parfaits Dommages
et autres achèvements. L’Oie de Cravan, 2007.
*
Réédition de Parfaits Dommages (1996), considérablement augmentée de textes ayant fait l’objet de plaquettes à tirage limité et de quelques inédits. Superbes photos de Nicole Espagnol. Pierre Peuchmaurd est un secret bien gardé de notre temps. C’est un immense poète, et presque personne ne le sait. Faites passer.