Les petits livres



J’ai soixante-quinze ans, j’ai écrit dix-huit petits livres, et les diffuseurs m’ont dit que ce n’était pas bien que les livres soient courts, parce que les gens n’achètent jamais de livres pour les lire eux-mêmes, mais pour en faire des cadeaux, et on a l’air radin si on fait cadeau d’un petit livre.

Béatrix Beck.
Portraits, 2e série, d’Alain Cavalier, « La romancière ».

Propos corroborés par une ancienne libraire de ma connaissance, qui se faisait régulièrement demander, lorsqu’elle recommandait un petit livre : « Vous n’avez rien de plus gros ? »

Découvrant enfin ces merveilleux Portraits, on est frappé de voir à quel point ils auront constitué, plus encore que Thérèse, un moment-charnière dans le cinéma de Cavalier en posant, à la façon de travaux d’approche, les premiers jalons d’une méthode et d’un style qui s’épanouiront des années plus tard avec la Rencontre, le Filmeur et leurs divers surgeons : même sens du détail concret et révélateur, même attention aux objets, aux visages et aux mains, même sûreté du cadrage, même emploi de la voix off « en direct ». Filmant — avec quelle justesse — le travail artisanal des autres, Cavalier réfléchit sur sa propre pratique, artisanale elle aussi, et certains de ses apartés rêvant un futur possible du cinéma anticipent de manière étonnante l’avènement des mini-caméras numériques.


Mercredi 10 octobre 2012 | Dans les mirettes, Le monde du livre | 1 commentaire


Roz Chast

On découvre avec plaisir l’univers de Roz Chast, dessinatrice associée essentiellement au New Yorker. Son premier dessin publié, en 1978, a quelque chose de magrittien. Le décalage entre l’image et sa légende deviendra une constante de son travail.

Dotée d’un sens de l’absurde très personnel, Chast a le chic pour épingler l’angoisse latente de la vie domestique et familiale, le complot des choses inanimées, les peurs enfantines qui subsistent à l’âge adulte, les névroses obsessionnelles et les phobies intimes, les pensées inavouables de tout un chacun. Plusieurs de ses cartoons revisitent la tradition picturale des conversation pieces et des scènes d’intérieur auxquelles elle infuse un malaise insidieux. Chast se singularise aussi par le rôle prépondérant que joue le texte dans ses dessins, avec un penchant prononcé pour les listes et l’énumération. De même qu’elle moque la prétention au savoir des diagrammes scientifiques et des statistiques saugrenues, elle aime parodier le langage figé de la réclame, des modes d’emploi, de la prose de magazine pour salles d’attente de dentiste, des cartes de vœux, des fiches de cuisine et des petites annonces pour en montrer la foncière inanité. Mais comme chez les plus grands, ses meilleurs dessins dépassent l’intention satirique pour atteindre une qualité d’inquiétante étrangeté.











On aime particulièrement ses dessins consacrés au monde du livre.


Roz Chast a publié plusieurs livres, dont un recueil anthologique, Theories of Everything (Bloomsbury). Comme les grands esprits se rencontrent, on peut visionner ici son entretien avec Steve Martin. Tous deux ont cosigné depuis un abécédaire.





Black Books

Les librairies d’occasion sont des lieux si photogéniques et si riches en anecdotes et en personnages excentriques qu’on s’étonne qu’elles aient si peu tenté romanciers et cinéastes. En littérature, elles ont principalement inspiré des auteurs de polars. On songe au premier chef à Lawrence Block et à son sympathique personnage de bouquiniste-cambrioleur, Bernie Rhodenbarr, héros d’une dizaine de romans. Il y a aussi John Dunning et son Destinataire inconnu, premier et seul roman traduit en français d’un cycle de cinq polars mettant en scène un flic reconverti dans le commerce de livres d’occasion, ouvrage honnêtement charpenté et plein d’aperçus intéressants sur la bibliophilie américaine contemporaine (Dunning est lui-même bouquiniste à Denver).

Au cinéma, on garde un souvenir agréable d’un astucieux film d’épouvante de Tibor Takács, Lectures diaboliques (I, Madman, 1989), qui exploitait au mieux le décor d’une grande librairie d’occasion et son potentiel inquiétant. Si ma mémoire est bonne, une horrible créature y sortait en chair et en os des pages d’un livre maudit (hello, Lovecraft) pour répandre la terreur. Mise à mort à la fin du film, elle se transformait non pas en poussière, à la façon d’un vampire surpris par la lumière du jour, mais en une volée de feuillets imprimés que dispersait le vent (superbe idée, fort bien visualisée).

Honneur, donc, à Black Books (2000-2004), sitcom coécrite par Graham Linehan (Father Ted) et le comédien Dylan Moran, qui constitue à ma connaissance la seule incursion du petit écran dans le monde interlope de la bouquinerie. Bordélique, cradingue, hirsute, paresseux, soiffard, misanthrope et mal embouché, Bernard Black (Moran) est ce type de bouquiniste (on en a tous connu) dont on se demande par quel miracle il survit, vu qu’il conçoit sa librairie comme une extension de sa bibliothèque personnelle plutôt que comme un commerce ; comprenez qu’il adore la lecture mais déteste les clients, qu’il passe son temps à rembarrer ou à mettre à la porte. (L’affichette réversible posée contre la porte vitrée de son commerce porte le mot « closed » sur ses deux faces.) Sa vie sentimentale est aussi calamiteuse que celle de sa meilleure amie, Fran (Tamsin Greig), elle aussi très portée sur la bouteille, et qui tient la boutique de babioles voisine. Le troisième comparse de l’affaire, Manny, est un comptable ahuri, embauché par erreur par Bernard sous l’emprise de la boisson (l’excellent Bill Bailey, qu’on avait découvert dans QI, le gouleyant quiz comedy show de Stephen Fry). Inégale, joyeusement barrée et d’un réjouissant mauvais esprit, Black Books possède cette qualité des meilleures sitcoms anglaises de rendre attachants des personnages infréquentables sans recours facile au sentimentalisme, et de marier peinture sans aigreur des aléas triviaux et des mesquineries de l’existence, idiotie délibérée et délire nonsensique. Les deux premières saisons ont fait l’objet d’une édition DVD en France (avec sous-titres français). La troisième saison est disponible uniquement en Angleterre (avec sous-titres anglais).















La ligne claire de Larousse




Le virus du complétisme a encore frappé. Impossible de louper le Dictionnaire des synonymes de Bailly ce matin à la brocante. J’aime bien cette collection de Larousse: le graphisme classe des couvertures aux lignes sorties d’un générique de Saul Bass, la typo, les reliures toilées qui supportent bien l’épreuve du temps. En outre, ils rendent encore service, en particulier le Dictionnaire des difficultés de Thomas et le Dictionnaire analogique de Maquet, plus fécond qu’un classique dictionnaire de synonymes pour dériver sans fin au fil des mots. Ils furent réédités dans les années 1970 sous des couvertures souples… très années 1970. J’aime aussi.




rororo

Toujours dans le Penguin Collector de juin 2011, un intéressant article de Thomas Schröer sur l’équivalent allemand de Penguin et de Marabout : la collection de poche rororo, qui existe encore aujourd’hui. Lancée au lendemain de la Deuxième Guerre par Heinrich Maria Ledig-Rowohlt — fils de l’éditeur réputé Ernest Rowohlt, fondateur en 1908 de la maison Rowohlt Verlag —, elle a une histoire curieuse.

Dans l’Allemagne de l’après-guerre que se partagent quatre forces d’occupation, les Américains et les Anglais sont soucieux de relancer la vie culturelle, dans laquelle ils voient un facteur de démocratie. (Billy Wilder avait des anecdotes très drôles à ce sujet, mais je ne retrouve plus l’entretien où il les raconte.) Très vite, des licences sont octroyées à des éditeurs de livres ou de journaux non compromis avec le régime nazi. Ledig-Rowohlt obtient la sienne en 1945. Le papier est alors une denrée rare et strictement contingentée. 60 % des quotas sont réservés à l’impression de journaux et 40 % à l’édition de livres. Pour contourner ces limitations, Ledig-Rowohlt a l’idée astucieuse de faire imprimer ses livres sur presses rotatives. Ce seront dans un premier temps de petites brochures de trente-six pages au format poche reproduisant chacune une nouvelle d’un auteur étranger (le plus souvent américain ou anglais).

En 1947, fidèle à sa devise (« le plus de texte sur le moins de papier possible, au coût le plus bas »), Ledig-Rowohlt lance la collection RoRoRo (Rowohlt Rotations-Romane), au format journal. Un roman complet composé sur trois colonnes tient dans une quarantaine de pages. Vingt-cinq de ces romans-journaux paraissent au cours des trois années suivantes. Ils sont vendus au prix symbolique d’une cigarette — en un temps où les cigarettes servent encore couramment de monnaie d’échange.

En 1950, RoRoRo devient rororo. Toujours imprimés sur rotatives, les livres reviennent au format poche sous une reliure bon marché constituée d’une pièce de toile encollée au dos des volumes. Leur succès est immédiat ; les tirages s’envolent. Pour minimiser encore les coûts de production, les livres contiennent fréquemment des pages de publicité que l’éditeur s’ingénie à lier à leur contenu. Par exemple, dans Das Schicksal der Irene Forsyte (The Man of Property de John Galsworthy, premier volume de la Dynastie des Forsyte), sur la page en vis-à-vis d’un passage où le vieux Jolyon Forstyte s’allume une clope, s’étale une publicité pour les cigarettes Fox. Le catalogue de la collection est constitué aux deux tiers d’auteurs étrangers, essentiellement américains, anglais et français, le lectorat allemand se montrant avide de littérature étrangère dont il a été longtemps sevré.

À l’instar des Penguin et des Marabout de la grande époque, les rororo des années 1950-1960 ont leurs collectionneurs acharnés. Un élément propre à déclencher ce réflexe de la collectionnite, ce sont les couvertures illustrées qui assurent à la série son unité visuelle. Celle-ci est d’autant plus marquée que ce sont deux illustrateurs qui ont réalisé à eux seuls les trois cent cinquante premières couvertures de la collection. Ils se nommaient Karl Gröning Jr et Gisela Pferdmenges, et tous deux venaient curieusement du monde du théâtre (le premier était décorateur et la seconde costumière). Leur style graphique est parent de celui des premiers Livre de Poche qu’Henri Filipacchi lançait à la même époque en France avec le concours de Guy Schoeller (dans les deux cas, l’illustration plein bord court sur la première et la quatrième de couverture).


Jeudi 12 janvier 2012 | Le monde du livre | 1 commentaire


10/18 forever



Cadeau de la librairie Le Port de tête aux dix-dix-huitomanes.




Les Huns envahissent Liège

Librairie Livre aux trésors
4, rue Sébastien-Laruelle
4000 Liège

Parmi les parutions récentes d’Attila, on recommande vivement le Rapetissement de Treehorn dont on a parlé ici, et Palabres d’Urbano Moacir Espedite, le livre fou qui nous a fait le plus jubiler cette année (ce ne sont pas des mots en l’air) et dont on espère trouver le temps de parler bientôt.

Éditions Attila