Épuisement du roman

Valery Larbaud à Marcel Ray, le 11 avril 1935.

J’ai vu Marcel Thiébaut récemment. […] Son livre a du succès, et je crois que la N.R.F. a bien fait de le prendre. Cela coupe heureusement ce flot de romans, que je ne lis plus depuis longtemps. Il me semble qu’avec la production romanesque énorme et bâclée des dix dernières années, le « genre » est en train de disparaître dans un discrédit grandissant, et sans doute quelquefois injuste. J’imagine qu’il y a une élite de lecteurs que le mot « roman » n’attire plus, ou déjà éloigne. Mais tant qu’il n’y aura pas un autre mot pour désigner des livres comme l’Ulysses de Joyce ou la grande série proustienne, « le Roman » se survivra à lui-même. En somme Max Beerbohm, qui disait vers 1911 ou 12 que les « romans passeraient de mode comme les sermons au XVIIIe siècle », n’avait pas tort. C’est ce qui a dû arriver à la Tragédie, que Voltaire avait « requinquée » et qui est allée jusqu’au Ponsard. Mais alors le Romantisme a trouvé le mot « drame ». — Arnold Bennett, après avoir lu mon Barnabooth, m’a dit : « It is not a novel, but it is a book », — he meant it as a compliment. Il faudrait un mot ; et cela, c’est surtout une affaire de libraire, une affaire de critique. Donc, je m’en désintéresse, et depuis longtemps je laisse appeler « romans » mes livres qui n’en sont pas, et « nouvelles » mes écrits qui ne racontent pas d’histoire.

Valery Larbaud, Marcel Ray, Correspondance, vol. III : 1921-1937. Gallimard, 1980.


Dimanche 1 décembre 2019 | Grappilles |

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