La notion de bibliothèque ne fait pas partie de la terminologie de Northrop Frye, mais on pourrait l’y inclure. La littérature n’est pas seulement faite d’œuvres singulières, mais de bibliothèques, de systèmes dans lesquels les diverses époques et traditions organisent les textes « canoniques » et « apocryphes ». À l’intérieur de ces systèmes, chaque œuvre est différente de ce qu’elle serait si elle était isolée ou insérée dans une autre bibliothèque. Une bibliothèque peut posséder un catalogue clos ou bien tendre à devenir la bibliothèque universelle, mais toujours en se développant autour d’un noyau de livres « canoniques ». Et ce qui différencie deux bibliothèques, c’est davantage leur centre de gravité que leur catalogue. La bibliothèque idéale vers laquelle je tends, pour ma part, est celle qui gravite vers le « dehors », vers les livres « apocryphes » au sens étymologique du mot, c’est-à-dire les livres « cachés ». La littérature est la recherche du livre caché au loin, qui modifiera la valeur des livres connus ; elle est tension vers le nouveau texte apocryphe à découvrir, ou à inventer.
Italo Calvino, « La littérature comme projection du désir » (1969).
Traduction de Michel Orcel.
Dans Défis aux labyrinthes, vol. I, Seuil, 2003.
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