Quand on pense à une ville romaine de l’époque impériale, on imagine des colonnades de temples, des arcs de triomphe, des thermes, des cirques et des théâtres, des monuments équestres, des bustes et des stèles, des bas-reliefs. Il ne nous vient pas à l’esprit qu’il manque, dans cette scénographie muette, l’élément qui caractérisait le plus, même visuellement, la culture latine : l’écriture. La ville romaine était tout d’abord une ville écrite, recouverte d’une couche d’écriture qui s’étalait sur les frontons, sur les plaques commémoratives, sur les enseignes.
« Des inscriptions partout présentes, peintes, dessinées, gravées, suspendues sur des tableaux en bois ou tracées sur des cadres blancs, […] tantôt publicitaires, tantôt politiques, ou funéraires, ou de célébration, ou publiques, ou tout à fait privées, annotation ou insulte, ou souvenir plaisant, […] exposées partout, avec quelques préférences, c’est vrai, pour certains lieux spécifiques, places, forums, édifices publics, nécropoles, mais seulement pour les plus solennelles ; non pour les autres, indifféremment éparpillées partout où il y a eu l’entrée d’un atelier, un carrefour, un pan d’enduit libre, à hauteur d’homme. »En revanche l’écriture avait disparu de la ville médiévale, autant parce que l’alphabet avait cessé d’être un moyen de communication à la portée de tous que parce qu’il n’y avait plus d’espaces pouvant accueillir des inscriptions et concentrer les regards sur elles. Les rues étaient étroites et tortueuses, les murs faits de blocs en saillies, bosselés avec des archivoltes ; le lieu où étaient transmises et gardées les significations de tout discours sur le monde était l’église, dont les messages étaient oraux ou figuratifs, plus qu’écrits.
Italo Calvino, « La ville écrite : épigraphes et graffitis ».
Traduction de Jean-Paul Manganaro.
Dans Défis aux labyrinthes, vol. I, Seuil, 2003.
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