Poétique de l’entrevu

La poésie ou plutôt le poème ne doit rien au rêve. À la rêverie, peut-être, et alors à la divagation, si vous voulez. En vérité, je ne crois pas qu’elle se fasse ailleurs que sur les lèvres, dans la voix, au hasard de sa venue qui, chez moi, se produit presque toujours en marchant et à l’aperçu, à l’entrevu de quelque chose. […] Il y a un autre monde, vous savez : il est ici et ne demande qu’à apparaître. Qu’on appelle cela « surréalité » ou « plus de conscience », c’est toujours de l’immanence cachée, mais clignotante, scintillante, qui fait signe et qui se dévoile quand elle veut et… quand vous pouvez. […] Le poème, chez moi, est presque toujours le produit, l’accompagnement et comme la traduction simultanée d’une espèce d’apparition. Presque toujours aussi, ce phénomène est bref, et je ne vois pas pourquoi le poème devrait se prolonger au risque de le diluer, de l’épuiser. Il doit laisser une vibration dans l’air. Il doit blesser aussi, ouvrir la terre mais comme une épine, pas comme un tracteur1.

Ce qui vaut pour la poésie de Pierre Peuchmaurd vaut aussi bien pour les fragments réunis dans l’Immaculée Déception, recueil qui fait suite à À l’usage de Delphine. Aphorismes, choses vues, bestiaire, jeux de mots à la Leiris, raccourcis fulgurants saisis au vol dans un calembour, étonnements et courroux, sottisier et fragments d’art poétique… Ce sont flèches qui vibrent en effet, où l’ironie fait jeu égal avec le sens du merveilleux — tandis que passent comme en songe de troublantes jeunes filles. Considérant les mots et le monde d’un autre œil, Peuchmaurd sait l’art de dépayser le langage en retournant comme des gants les vérités premières et les expressions toutes faites, pour mieux tirer le tapis sous les pieds du sens commun. De bien jolies fleurs (sans rhétorique), aux épines exquises.

Pierre PEUCHMAURD, l’Immaculée Déception. Atelier de l’agneau, 2002, 78 p.

1 Extraits d’un entretien avec Pierre Peuchmaurd paru dans Le Matricule des anges.

Extrait

Victimes du tabagisme, ne restez plus passives : fumez.

Les fées sont têtues.

J’ai vu une boîte aux lettres sur une caravane.

Corpus Christine.

L’aîné des mes soucis.

Pâtir des châteaux en Espagne.

Dresser une lapalissade.

Sanglot : l’eau du sang.

Ce n’est pas à ses jours que l’on met fin, c’est à sa nuit.

Le commandement de Mallarmé : « Surtout, ne va pas, frère, acheter du pain » ne s’adresse qu’aux poètes qui ont une bonne.

Le tamanoir est une huître géante avec des poils.

Je ne connais rien de plus déprimant qu’un homme sans mélancolie.

Des ossements d’épaules.

Danger : public.

La lettre était cassée, le haut du f effacé. J’ai donc cru que Valéry avait écrit :
« J’ai pensé à des choses chéries,
tondantes. »

Nous vîmes des choses, les oubliâmes. C’est le passé simple.

D’après mon ordinateur, l’adverbe plénièrement n’existe pas, ce qui n’est l’avis ni de Saint-Simon ni d’André Breton. Il propose de le remplacer par planétairement, montrant bien, comme il est naturel, que pour les manipulateurs des technologies nouvelles l’idée de souveraineté se réduit à celle du contrôle de l’espace - mental, de préférence.

La fille en bleu dans l’arbre, si vous croyez que c’est la Vierge, faites-la descendre, ce sera Marie.

Cinquante-six kilos. Mon amour pèse le poids d’un cœur d’éléphant.

« Chacun sa vie, chacun son forfait », énonce tranquillement une publicité pour les transports en commun.

Seul convive, seul qu’on meurt.

Moi, je parlerais plutôt du plein gré de mon insu.


Samedi 13 janvier 2007 | Au fil des pages |

5 commentaires
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Excellent livre en effet, parfait pour la table de chevet ou pour les toilettes (à prendre comme un compliment). J’ai une amie qui en a déjà acheté une dizaine d’exemplaires pour offrir. Et si vous l’avez aimé, vous serez ravis de découvrir la “suite”: Le Moineau par les cornes, à paraître prochainement aux éditions Pierre Mainard.

Commentaire par antoine p 01.27.07 @ 6:15

Merci, c’est noté, cher Antoine P de réjouissante mémoire (remember certaines agapes à La Maffiosa).

Commentaire par th 01.27.07 @ 10:27

Oui, I do remember the agapes et ce soir qui accompagnait la sortie du premier Mandrill.

Commentaire par antoine p 01.27.07 @ 7:15

Bonjour,
M’autoriseriez-vous l’utilisation des quelques lignes suivantes pour notre À paraître et notre catalogue concernant la parution de “Le Moineau par les Cornes” de P. Peuchmaurd.
Cordialement,
P. Mainard*
Les lignes en question :
Considérant les mots et le monde d’un autre œil, Peuchmaurd sait l’art de dépayser le langage en retournant comme des gants les vérités premières et les expressions toutes faites, pour mieux tirer le tapis sous les pieds du sens commun. (en suivant mention du nom et blog)

Commentaire par Mainard 03.14.07 @ 2:47

Bien sûr, avec plaisir.
À quand la parution du livre ?

Commentaire par th 03.15.07 @ 9:07



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