L’Homme en rouge est un de ces livres comme Julian Barnes sait les réussir. Il ne s’agit pas d’une biographie exhaustive à l’anglo-saxonne, encore moins – heureusement – d’une biographie romancée ; mais d’un essai biographique progressant sans souci ferme de la chronologie par approches et reprises successives, par apparents vagabondages qui finissent toujours par reconduire au sujet, tout en menant une réflexion sur les limites de l’exercice biographique. La figure centrale en est Samuel Pozzi (1846-1918), père de Catherine, grand chirurgien et grand séducteur, pionnier de la gynécologie (son manuel faisait encore autorité dans les années 1930) et de la modernisation des hôpitaux, « un homme sain d’esprit dans une époque démente ». Autour de cet homme de progrès gravite une constellation de personnages et de motifs de la mal nommée « Belle Époque » : Sarah Bernhardt, Barbey d’Aurevilly, Oscar Wilde, Proust, Degas, Gustave Moreau, Huysmans, Jean Lorrain, Robert de Montesquiou et les affreux Goncourt, le dandysme, la manie des duels, l’affaire Dreyfus, l’essor de la presse, les échanges culturels franco-britanniques. L’iconographie du livre (portraits par Sargent, Boldini, Ingres, Singer, Whistler ; diverses photographies ; merveilleuse collection de vignettes des Célébrités contemporaines qui étaient vendues avec les tablettes de chocolat Félix Potin) est bien plus qu’une illustration. Elle en est partie prenante. C’est la découverte du portrait de Pozzi par Sargent qui, en donnant à Barnes l’envie d’en savoir plus sur le sujet portraituré, enclencha l’écriture. Régulièrement, la description commentée des images vient nourrir et relancer le récit, en suscitant au passage une réflexion sur l’art du portrait concomitante aux remarques sur l’entreprise biographique. (Barnes, rappelons-le, a consacré un excellent recueil d’essais à la peinture française, Keeping an Eye Open / Ouvrez l’œil !) Enfin, pour qui a lu, sur la période, des auteurs exclusivement français (Philippe Jullian, Hubert Juin, Jean Borie, François Caradec…), le regard d’un Anglais francophile, regard extérieur, informé, sympathique et lucide, apporte un point de vue neuf, légèrement décentré, qui enrichit la connaissance de l’époque fin de siècle.
Julian BARNES, l’Homme en rouge (The Man in the Red Coat, 2019). Traduction de Jean-Pierre Aoustin. Mercure de France, 2020.
Un commentaire
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Il faut quand même une certaine connaissance de l’époque et de ses acteurs pour ne pas être noyé sous l’avalanche de noms et de personnages. Et la construction de l’ouvrage est assez déconcertante. À force de vouloir faire un portrait en creux de Pozzi, je ne suis pas certain qu’il ait réussi son coup. Bref, j’ai aimé sans trop aimer.
Commentaire par hrundi v. bakshi 11.15.20 @ 4:19