L’Inexorable Enquête (Scandal Sheet, 1952) de Phil Karlson est tiré d’un roman de Samuel Fuller. Selon Tavernier et Coursodon, Fuller fut si mécontent du résultat qu’il poursuivit de sa fureur Karlson dans les couloirs de la Columbia. Faute d’avoir lu le roman 1, on a du mal à comprendre pourquoi, tant cet excellent petit film noir est empreint d’une énergie fullerienne. L’argument mêle presse de caniveau, chasse au scoop et enquête criminelle, en y ajoutant une pointe de Fritz Lang : en transformant un quotidien sérieux en torchon à scandale pour booster les ventes, Broderick Crawford met en branle un engrenage qui se retournera contre lui ; ressort typiquement langien, fondé sur le binôme volonté de puissance/pulsion de mort. À cela s’ajoute un élément « freudien », si l’on veut, puisque c’est le Fils spirituel qui sera l’artisan de la chute de l’Ogre-Père. On admire dans ce film la présence granitique de Crawford, la superbe photo de Burnett Guffey jouant à la fois de forts contrastes ombres-lumière et de beaux dégradés de gris ; et surtout la formidable vitesse d’exécution de Karlson, qui maintient la tension narrative sans négliger les ambiances (salles de rédaction, soirée « cœurs solitaires », logements miteux, pawnshops et bistrots poisseux). L’économie budgétaire induit une économie narrative, sensible notamment dans l’ellipse des transitions. En 82 minutes, c’est plié. Un cinéaste hollywoodien d’aujourd’hui mettrait deux heures dix à raconter la même histoire. Netflix en ferait une série de six heures. On aime cette concision.
1 Publié naguère chez Bourgois dans la précieuse collection Série B. Réédité en 1993 chez Rivages/Noir.
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