Il n’est pas une des seules œuvres romanesques de Stendhal qui ne soit née d’un écrit. Armance d’un roman de Mme de Duras, le Rouge et le Noir de comptes rendus de procès, les Chroniques italiennes et la Chartreuse de Parme de manuscrits italiens anciens [+ Lucien Leuwen du manuscrit de son amie Mme Gaulthier, le Lieutenant.] Qui lit son Journal est frappé par la permanence d’un trait : la connaissance d’une œuvre inspire aussitôt à Stendhal l’envie de la « refaire », qu’il s’agisse d’une lecture ou d’une pièce de théâtre.
Anne-Marie Meininger [1]
Fiat lux ! Sans cette remarque éclairante d’Anne-Marie Meininger, je n’aurais jamais pensé à rapprocher Stendhal et Perec sous cet angle. Car évidemment, j’ai songé aussitôt à Perec en lisant ces lignes. Perec dont l’œuvre regorge de réécritures explicites ou masquées, des Choses à la Vie mode d’emploi en passant par la Disparition, - sans oublier, précisément, « 53 jours », dont le titre renvoie au temps que mit Stendhal à écrire la Chartreuse, et dont la deuxième partie, restée à l’état de plans et d’ébauches, devait dévoiler les allusions cachées à l’œuvre de Beyle disséminées dans la première. Mais pourquoi, justement, le choix de Stendhal comme clé de ce roman-rébus littéraire et policier ? Car si l’admiration de Perec pour Verne, Kafka, Roussel, Flaubert, Leiris, Melville, Lowry, Mann, Joyce, Borges, etc. m’a toujours paru de l’ordre de l’évidence, je me suis souvent demandé comment Stendhal s’inscrivait dans ce paysage littéraire là, où il faisait un peu figure d’ovni.
Il est un autre point de contact pourtant, et c’est leur goût commun des cryptogrammes. Sans doute obéit-il, chez l’un et l’autre, à des motifs très différents. Chez Stendhal, le recours à un langage crypté répond d’abord, comme chez Samuel Pepys, à une volonté de dissimuler ses écrits intimes à des yeux indiscrets ; mais il y entre aussi une part de jeu enfantin, dont témoigne par ailleurs sa passion des pseudonymes - révélatrice d’une sorte de partie de cache-cache engagée non sans humour avec soi-même et les autres [2].
Au bout du compte, le lien secret entre Perec et Stendhal est peut-être à chercher là, dans cette part du jeu qu’implique la quête et la construction de sa propre identité - et qui les conduit l’un et l’autre à inscrire en les masquant des éléments autobiographiques dans leur oeuvre.
1. « Lucien Leuwen et le marginaliste », in COLL., le Plus Méconnu des romans de Stendhal, Lucien Leuwen. CDU/SEDES, 1983.
2. Parmi ces pseudos de fantaisie, Pascal Pia énumère : MM. Bombet, Cornichon, Rowe, Pardessus, de La Palice-Xaintrailles aîné, barons Patault, Chagrin, Martin et Taquin, Horace Smith, William Crocodile, Onuphro Lani, Arrigo Beyle et Domenico Vismara, ingénieur à Novare (Romanciers, poètes et essayistes du XIXe siècle. Paris, Denoël, 1971, p. 176).
2 commentaires
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Merci beaucoup, vous allez me faire rougir !
Locus Solus est disponible en poche dans la collection L’Imaginaire. C’est un des livres les plus fascinants que je connaisse, et je vous encourage vivement à tenter l’expérience.
Commentaire par th 02.06.07 @ 10:16
Je vais oser m’avancer ici. En précisant que je ne me compare en rien à ces Grands dont vous traitez ici. Donc, j’ajouterais à “cette part du jeu qu’implique la quête et la construction de sa propre identité” celle de sa seule expression, de l’expression de la vie qui nous traverse…?
Venue lire votre note ce jour d’hui, ça m’amuse assez de voir que ma brève note du jour illustre tout à fait le phénomène de cryptage, et c’est en lisant certains des commentaires qu’elle a suscités que je mesure son degré d’hermétisme, aucun n’approchant de la “réalité” évoquée.
Votre carnet est une rareté en son genre, sur la Toile. Un raffinement et une culture qui ne laissent rien transpirer d’un mépris ou d’une pédanterie trop souvent usuelles en pareil cas.
Et quel beau nom, Locus Solus. Je pourrai enfin lire l’auteur de l’Å“uvre, maintenant que mon ordinosaure a été mis au rancart.
Mes meilleures salutations.
Commentaire par Marie Danielle aka spiegel sandgirl 02.05.07 @ 10:57