On en arrive à l’ultime contradiction : autant l’esprit du temps pousse tout le monde à écrire, autant il décourage de lire. Qui n’a pas un livre rentré ou sorti ? Les psychanalystes parce que leur métier les oblige à se taire, les hommes politiques parce qu’ils ont peur que l’on croie qu’ils croient ce que leur rôle public les oblige à dire, les savants pour qu’on ne les pense pas incultes, les vieillards parce qu’ils ont peur que l’on oublie leurs hauts faits, les jeunes pour que l’on sache qu’ils existent, les professeurs parce que les commissions jugent au poids, les chercheurs pour faire oublier qu’ils n’ont rien trouvé, tout un chacun parce qu’il n’y a rien de plus urgent que de se raconter. Écrire est l’ethos de notre époque ; pas lire. Écrivez, on ne vous lira pas.
Pierre Nora, « Édition, critique, médias : la crise » (1982).
Repris dans Historien public, Gallimard, 2011.
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