Agatha Christie, le Couteau sur la nuque (Lord Edgware Dies, 1933). Traduction de Louis Postif. Librairie des Champs-Élysées, « Le Masque », 1939.
Agatha Christie recourt fréquemment au principe de substitution : le meurtrier s’est grimé pour se faire passer pour un autre ; la victime – éventuellement défigurée – n’est pas celle qu’on croyait. Ce principe, la romancière n’en est pas l’inventrice : Conan Doyle, Chesterton et la baronne Orczy l’avaient mis en œuvre avant elle. Mais, fidèle à son habitude, elle s’est attachée à en tirer des variations inédites. Dans le Couteau sur la nuque, la révélation de la substitution n’est ni le fruit d’un coup de théâtre ni celui d’un patient travail d’enquête : il est avéré d’emblée que A s’est fait passer pour B. Là gît précisément l’astuce : ce mystère étant éventé d’entrée de jeu, notre attention s’oriente vers d’autres pistes sans en creuser davantage les implications. À savoir que si A s’est fait passer pour B, cela signifie en retour que B s’est fait passer pour A, et que leur place respective sur l’échiquier n’était pas là où on les croyait. La permutation de A et de B est moins une fausse piste que la tache aveugle du récit. La vérité était si flagrante que nous ne l’avons point vue. Ajoutons que l’histoire se déroule dans le monde du théâtre, royaume par excellence du faux-semblant.
Denis Cosnard, le Paris de Georges Perec. La Ville mode d’emploi. Parigramme, 2022.
En attendant la parution annoncée d’une nouvelle biographie de Georges Perec par Claude Burgelin, voici un album bien documenté et fort agréablement rédigé sur le lien profond qui unissait l’écrivain à sa ville (le possessif n’est pas trop fort). « La ville n’est pas qu’un décor. De texte en texte, Perec la prend comme cadre de ses récits, mais aussi comme terrain de jeu, d’expérimentation, un “petit bout d’espace” qui mérite d’être examiné, cartographié méthodiquement, questionné jusqu’à l’épuisement. » L’ouvrage est conçu comme un inventaire chronologique des lieux-clés de la vie et de l’œuvre de Perec : domiciles, établissements scolaires, lieux de travail, places, cafés, brasseries et cinémas de prédilection, domiciles des compagnes et des amis… incluant bien sûr les douze sites élus pour le vaste chantier de Lieux, projet finalement abandonné mais qui n’a cessé d’irriguer souterrainement d’autres livres. Il ne s’agit pas seulement d’un parcours biographique. Chaque livre de Perec paru de son vivant est analysé chemin faisant sous l’angle parisien, en des notices alliant la pertinence à la concision. L’œuvre entière de l’écrivain se voit placée justement sous le double signe du manque et du faux. La très belle iconographie parachève la réussite de l’ensemble.
3 commentaires
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L’iconographie, en couleur et en noir et blanc, alterne portraits de Perec in situ (de l’enfance à l’âge adulte) et photos d’époque des lieux commentés dans le livre. On y trouve aussi, sur deux pages, un plan de Paris où sont indiqués les douze sites retenus pour Lieux.
Je ne sais si cela peut vraiment aider à embrayer dans la lecture de Lieux. Aussi bien édité soit ce livre, sa lecture est ingrate (je n’ai fait moi-même qu’y picorer tant qu’à présent) puisqu’il s’agit d’un chantier finalement abandonné et non d’un projet mené à son terme, qui avait d’ailleurs fini par ennuyer son auteur lui-même. Lieux est important en tant que projet, pour ce qu’il révèle de la démarche de G.P., et parce qu’il a nourri d’autres de ses livres, mais ce n’est pas à mon avis un livre à lire d’une traite ni d’un couvert à l’autre.
Merci pour votre réponse éclairante : je vais me mettre en quête du “Paris de Perec”, et pour “Lieux” on verra plus tard.
Commentaire par raminagrobis 03.13.23 @ 5:24
Où pourrait-on voir (sur internet) des images de ce livre ? Les descriptions trouvées ne sont pas très éclairantes. J’aimerais savoir si ce livre peut m’aider à démarrer la lecture de Lieux ? pour l’instant je cale, et où nous habitons maintenant pas de librairie digne de ce nom à moins d’une heure de route.
Commentaire par raminagrobis 03.12.23 @ 2:04