Lectures expresses

Jay McInerney, les Jours enfuis (Bright, Precious Days, 2016). Traduction de Marc Amfreville. L’Olivier, 2017.

Ce roman est le dernier volet d’une trilogie mettant en scène et regardant vieillir sur trois décennies le même couple new-yorkais et son entourage (je n’ai pas lu les deux premiers, Trente Ans et des poussières et la Belle Vie). Russell Calloway dirige une petite maison d’édition littéraire. Son épouse Corrine a quitté un emploi dans la banque pour se dédier à l’aide alimentaire ; c’est aussi une scénariste de talent. Leur couple, apparemment solide comme le roc, constitue un point de repère pour leur entourage jonché de divorces. Leur milieu est celui de la moyenne bourgeoisie intellectuelle « éclairée », qui n’est certes pas à plaindre mais subit néanmoins à son tour la gentrification effrénée de New York. La narration enchaîne tableaux domestiques, dîners en ville et repas de famille tournant régulièrement au désastre, mondanités, vernissages et lancements copieusement arrosés et cocaïnés, vacances dans les Hampton, parties de pêche à la mouche, soirées dans les restaurants à la mode pratiquant la cuisine moléculaire et l’addition stratosphérique (l’obsession alimentaire est l’un des motifs seconds du livre). Thèmes : crise de la cinquantaine, amours adultères, foire aux vanités, bonne-mauvaise conscience d’une classe heureuse tout de même de jouir de ses privilèges, « débris du passé » qui n’en finissent pas de hanter le présent. En navette, la vie d’une maison d’édition indépendante : les agents requins, les jeunes auteurs ingrats, l’attente anxieuse des premières critiques qui décideront du succès ou de l’échec commercial d’un livre, le scandale lié à la publication d’un témoignage bidon, les fins de mois acrobatiques. À l’arrière-plan : les primaires démocrates, la crise des subprimes, le scandale Lehman Brothers et l’élection d’Obama.

De temps à autre, on se dit qu’il faut bien lire un gros roman mainstream américain, et pour finir cela ressemble exactement à l’idée qu’on peut s’en faire sans l’avoir ouvert. Jay McInerney a sans conteste un talent de narrateur et d’observateur. Ce talent n’est pas donné à tout le monde, si l’on considère le nombre de romans qui vous tombent des yeux au bout de trois paragraphes quand on les feuillette en librairie. Néanmoins, son livre permet de mesurer le fossé qui sépare le storytelling de la littérature. L’un des symptômes en est un effet d’aplatissement qui réduit au même niveau tous les éléments de la narration, qu’ils soient signifiants ou adventices. Lire un roman de ce genre, même non dénué de mérites, fait l’effet de visionner une série télé sans la cinégénie, la lumière, les décors, les comédiens qui lui apporteraient le supplément de leur incarnation.


Dimanche 12 mars 2023 | Au fil des pages |

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