Sauf ignorance de ma part, J’étais une aventurière (1938) est rarement cité parmi les perles du cinéma français des années 1930. Aussi espère-t-on faire œuvre utile en le clamant bien fort : ce film est tout à fait délicieux. Il s’agit d’une comédie d’escroquerie internationale typique de la période (le chef-d’œuvre du genre étant bien entendu Trouble in Paradise) et où, pour une fois, les Français se montrent à la hauteur de leur modèle hollywoodien. D’un hôtel de luxe à l’autre entre Vienne, Londres et Cannes, un trio de filous – le cerveau au sang froid, le pickpocket et l’enjôleuse – s’y emploie à détrousser des pigeons fortunés au moyen de combines bien rodées. Raymond Bernard, fils de Tristan, est surtout réputé pour des productions ambitieuses telles que les Misérables et les Croix de bois. Peut-être considéra-t-il J’étais une aventurière comme une œuvrette de commande. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’il ne la traita pas par-dessus la jambe. Au contraire : il y montre des qualités épatantes de vitesse, de fluidité, d’élégance et de brio dans une intrigue où abondent comme il se doit les faux-semblants et les coups fourrés. Le scénario de Jacques Companeez, le dialogue de Michel Duran, l’interprétation : tout pétille. Les retournements surprises qui sont la loi du genre n’ont rien de forcé et découlent naturellement des caractères des personnages. L’écueil du dernier tiers – souvent plus faible dans ce type de comédie, plus facile à mettre en place qu’à dénouer – est surmonté par d’habiles relances. Edwige Feuillère, que notre mémoire associe à des compositions guindées plus tardives, fait preuve d’une merveilleuse vivacité dans un rôle à transformation. Plus rare encore, le premier rôle masculin, Jean Murat, ne s’est pas démodé, contrairement à tant de bellâtres de l’époque, de sorte qu’on admet sans suspension of disbelief que l’aventurière des palaces soit sensible à son charme curieux. Dans le rôle des complices de la demoiselle, on a eu plaisir à découvrir le parfait Jean Max et à retrouver l’ineffable Jean Tissier.
Jacques Lourcelles signale que Raymond Bernard tourna lui-même un remake de son film en 1956, toujours avec Feuillère dans le rôle principal, intitulé le Septième Commandement. « L’absence de fantaisie et d’élégance, écrit-il, le caractère laborieux et souvent sinistre du film soulignent l’abîme qui sépare le cinéma français des années 1930 de celui des années 1950. » On le croit sur parole.
La copie de J’étais une aventurière parue dans la collection rouge à bon marché de la Gaumont n’a pas été restaurée, comme l’indique l’éditeur avec probité. Elle est fatiguée mais néanmoins regardable.
3 commentaires
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(mais aucun rapport, j’imagine, avec le Je suis un aventurier d’Anthony Mann)
Commentaire par George Weaver 03.23.23 @ 11:33Jacques Companeez, scénariste important des années 1930-1950 (pour Renoir, Chenal, Tourneur, Siodmak, Becker et quantité d’autres), était bien le père de Nina.
Et aucun rapport en effet avec le film d’Anthony Mann.
Merci pour ce signalement !
Et j’imagine que puisque Raymond était le fils de Tristan (à qui l’on doit je crois, entre autres, l’invention de la verbicrucie), Nina doit être la fille de Jacques : on est à coup sûr en bonne Companeez…
Commentaire par George Weaver 03.23.23 @ 11:31