Elle procéda à des mélanges inquiétants.
– Ma propre invention, pépia-t-elle. J’appelle ça «Cœurs en flammes».
À la première gorgée, Jake se rendit nettement compte que si son cœur n’était pas touché, des flammes lui sortaient en tout cas par les oreilles.***
Elle leur avança des sièges, leur tendit des cendriers en forme de petits poissons et leur versa un whisky tellement corrosif que tous les plombages de Jake se désagrégèrent.
***
– Bonne idée d’être venus ! clama cordialement Malone. Nous avons le temps de prendre un verre ensemble avant de partir pour Crow Point !
Il disparut dans la cuisine avec Hélène et tous deux se mirent en devoir de concocter une boisson rafraîchissante dont ils voulurent bien communiquer la recette. Il s’agissait de gin, additionné de gin, aromatisé au gin, et dans lequel ils ajoutèrent, juste au moment de servir, une tombée de gin.***
Jake et Malone décidèrent qu’il était grand temps de la rejoindre.
– Vous buvez de la bière ? s’enquit Malone.
– Pour mon petit déjeuner, acquiesça-t-elle.
– Rien de tel que la bière au petit déjeuner, approuva l’avocat.
– N’est-ce pas ? fit-elle avec un sourire extatique. Voyez-vous, Malone, il y a des jours où j’adore la bière au petit déjeuner, et d’autres jours où alors, là, carrément, j’adore la bière au petit déjeuner.
– Je vous comprends. Notez que moi, la plupart du temps, j’aime autant avoir le petit déjeuner au petit déjeuner, sauf, bien entendu, les jours de galas, quand je préfère avoir le petit déjeuner au petit déjeuner.Craig Rice, Justus, Malone & Co. (Eight Faces at Three, 1939).
Traduction de Michel Averlant. Le Masque, 1986.
Justus, Malone & Co. est un morceau de choix pour notre rubrique « Le coin du Captain Cap ». On y picole autant que dans un roman de Jonathan Latimer. Les quelques citations ci-dessus n’en donnent qu’un faible aperçu. Ce roman, le premier de Craig Rice, est aussi le premier du cycle Malone, avocat aussi débraillé qu’efficace, dont les connaisseurs s’accordent à dire que le meilleur est Malone quitte Chicago. L’histoire démarre dans une ambiance de cauchemar gothique avant de virer au whodunit désinvolte et marrant. Craig Rice a trouvé d’emblée son ton, fait d’un alliage de roman de détection à l’anglaise et de screwball comedy américaine. On la surnomma la « Dorothy Parker du roman de détection ». Ces étiquettes commodes sont toujours réductrices. Néanmoins, ça n’est pas mal vu.
Morte à quarante-neuf ans d’une surdose de barbituriques et d’alcool, Georgiana Ann Randolph Craig, dite Craig Rice, eut le temps d’écrire une vingtaine de romans et de rapetasser une poignée de scénarios lors d’un bref passage à Hollywood 1, d’avoir quatre maris, trois enfants, de nombreuses liaisons et une vie sociale trépidante. Cyclothymique de première force (on ne disait pas encore maniaco-dépressive), elle écrivait plusieurs romans par an dans une sorte de transe. « Sans aucun plan, et sans la moindre esquisse de personnage, elle se mettait à la machine et tapait jusqu’à l’épuisement. Ces périodes de travail forcené pouvaient durer plusieurs jours et nul ne la voyait plus jusqu’à ce qu’elle émerge de son bureau, un manuscrit bouclé sous le bras. » (Jeffrey Marks.)
1. À Hollywood, elle fraternisa avec George Sanders. Elle est notoirement l’auteure véritable des deux romans policiers parus sous le nom du comédien pour raisons commerciales.
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