Le monde du silence

Patrick Tourneboeuf est aussi bien attiré par les univers clos sur eux-mêmes (du monde des bureaux à l’école de la Marine nationale) que par les lieux vides et fantomatiques (abords incertains des villes, stations balnéaires hors saison touristique). Fasciné par les traces que les hommes laissent derrière eux, « les espaces qu’ils investissent et parfois abandonnent », il a notamment promené son appareil photo le long du tracé du mur de Berlin et sur les plages du débarquement. Son récent travail sur les Archives nationales de France conjoint comme à plaisir ces diverses obsessions - et peut-être n’est-ce pas un hasard si c’est à la veille de leur déménagement partiel à Pierrefitte-sur-Seine qu’il a photographié ces trois hectares de galeries et de salles encloses au cœur de Paris. Ces photos furent exposées aux Archives mêmes au début de l’année, dans d’impressionnants très grands formats accrochés en des salles dont le silence faisait un troublant écho à leur propre silence. Labyrinthe des corridors, des salles de consultation et des magasins en sous-sol, kilomètres de rayonnages où s’alignent les volumes reliés, les classeurs aux numérotations ésotériques ; château de la Belle au bois dormant où les registres, censiers, minutiers des conseils du roi et procès-verbaux des assemblées révolutionnaires, ensevelis dans un profond sommeil, semblent attendre l’historien qui viendra les réveiller pour les faire parler à nouveau. Fascinant univers, entre Borges et le Resnais de Toute la mémoire du monde, à la fois vertigineux et légèrement oppressant, vide de présence humaine, à une seule exception qui semble incarner la solitude du chercheur.

Patrick TOURNEBOEUF, le Temps suspendu. Préface de Pierre Nora. Filigranes, 2007.


Mercredi 11 avril 2007 | Au fil des pages, Bibliothèques |

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