Dranem

Pour JYL et AP.

Comment Dranem peut-il avoir le toupet de débiter devant un public hilare les inepties de son répertoire ? La bêtise volontaire poussée à ce point confine au génie.

Boris Vian

Nous sommes en 1900, à l’Eldorado. Un comique entre en scène en courant, comme s’il était poursuivi. Il porte un drôle de petit chapeau [baptisé Poupoute], une veste étriquée, des pantalons à carreaux trop larges et trop courts, il est chaussé d’énormes godasses sans lacets. Il s’arrête devant le trou du souffleur et chante les yeux fermés, qu’il n’ouvre que pour simuler la frayeur de débiter pareilles incongruités. C’est Dranem. Il restera vingt ans à l’Eldorado.

François Caradec et Alain Weill, le Café-concert. Hachette, 1980.

Charles Armand Ménard (1869-1935), dit palindromiquement Dranem, fut au début du XXe siècle le prince de la chanson inepte et parfois scabreuse (les Petits Pois ; Pétronille, tu sens la menthe ; le Trou de mon quai) et sa verve continue de nous réjouir quand tant d’autres chanteurs comiques de son temps se sont irrémédiablement fanés. Sa carrière fut exceptionnellement longue. Il triompha d’abord au café-concert, en engendrant au passage une kyrielle d’imitateurs (parmi lesquels le jeune Maurice Chevalier, qui débuta en faisant du Dranem). Puis, ayant pressenti que le caf’-conc’ allait passer de mode, il sut trouver un second souffle en se produisant au théâtre (il interpréta notamment le Médecin malgré lui sous la direction d’Antoine, à l’Odéon, en 1910), à la radio, dans des opérettes et au cinéma. Il est aussi l’auteur d’un roman, Une riche nature, planqué quelque part dans ma bibliothèque mais que je n’ai pas encore lu (selon Weill et Caradec, l’ouvrage « ne tient malheureusement pas les promesses de son titre »). On doit enfin à ce « fervent mutualiste » la fondation d’une société de droits d’auteur phonographiques et d’une maison de retraite pour artistes lyriques.

Le génie nonsensique de Dranem fit le bonheur d’André Breton (pourtant notoirement imperméable à la musique), Raymond Queneau et Boris Vian. Pour ma part, je ne connais pas de meilleur antidote à la morosité de l’hiver.

Les Petits Pois, chanson patriotique.
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/dran01.mp3]
Je reviendrai demain matin, de l’opérette Encore cinquante centimes.
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/dran02.mp3]

Sur Dranem et l’opérette, voir la page que lui consacre l’Encyclopédie multimédia de la comédie musicale théâtrale en France, site d’une incroyable richesse où l’on pourra écouter bien d’autres morceaux.


Vendredi 4 décembre 2009 | Dans les oneilles |

6 commentaires
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J’ai craqué à 0:57, dans les Petits Pois. Il faut être costaud pour se coltiner avec ce corpus. Pourtant, il m’arrive d’écouter Rires & Chansons plusieurs minutes d’affilée. Mon cas est-il susceptible de connaître une amélioration ?

Commentaire par AppAS 12.07.09 @ 3:17

Tout dépend de votre appétence pour les cinglés du music-hall chers à Jean-Christophe Averty. Si vous êtes allergique, il est sans doute inutile d’insister.

Commentaire par th 12.07.09 @ 10:57

Retrouvé dans le grenier Une riche nature, j’en ai lu 48 pages - c’est affligeant, même pas drôle.
Ça ne m’empêchera pas d’aimer quand même Les petits pois

Commentaire par Raminagrobis 12.11.09 @ 11:30

Arf, voilà qui est bien contrariant. Je crois que j’en ai toujours remis la lecture à plus tard pour m’éviter cette déception.

Commentaire par th 12.11.09 @ 6:48

Dranem reste le maître inégalé du comique absurde, les surréalistes l’ont très vite compris. Si l’on ajoute à cela un homme de grande culture et ayant un sens du social, il peut constituer une référence. Bourvil et Coluche connaissaient Dranem bien entendu. Son livre, Une riche nature, n’offre aucun intérêt si ce n’est l’illustration de couverture. Quant à ceux qui souffrent ne supportant pas Les petits pois (ne vous inquiétez pas c’est normal au début), je leur conseillerai plutôt pour débuter Le trou de mon quai, chef-d’oeuvre absolu repris plus tard (1971) par Les Charlots. Inoubliable Monsieur Dranem !

Commentaire par zerlini 12.22.09 @ 11:25

Merci, monsieur Zerlini. Je me sens moins seul avec ma dranemophilie.

Commentaire par th 12.22.09 @ 11:55



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