Déstockage

Les livres débordent de partout. Les piles croissent et se multiplient. On ne sait plus où les entasser, on met parfois deux jours à retrouver celui dont on a besoin — ça n’arrivait jamais avant —, signe que le seuil critique a depuis longtemps été dépassé. Au bout d’un an de tergiversations, on se résout à faire le tri. Le plus facile à liquider : les livres auxquels plus rien ne nous attache, pas même une valeur sentimentale qui nous les ferait conserver comme des fétiches en sachant pourtant qu’on ne les rouvrira plus ; les livres jamais lus dont la valeur résidait dans la seule nouveauté, ceux-là qui furent achetés avec un enthousiasme aussitôt retombé, avant d’être impitoyablement chassés de la table de chevet par de plus frais arrivages ; les pas vraiment désirés (services de presse non sollicités, cadeaux mal choisis, X a oublié qu’il m’avait offert ça, il y a prescription) ; des tombereaux de polars. Plus difficile : des paquets de Losfeld et de Pauvert, passionnément traqués des années durant, à l’époque où l’on ambitionnait de réunir la totalité de leur production ; ça nous a passé, malgré notre attachement intact pour ces deux éditeurs ; notre fièvre accumulatrice s’est orientée depuis vers de nouveaux secteurs, il y a des lustres qu’on n’a plus mis le nez là-dedans, ça prend vraiment trop de place, d’ailleurs on conservera la crème de leur catalogue ; mais tout de même, ça pince le cœur, c’est une part de soi qui s’en va, adieu mon cher passé, tout ça. Bref. On entasse le tout dans des cartons. Le pire, c’est que ça ne libère pas tant d’espace que ça. Les trous dans les rayonnages sont vite comblés, il traîne encore des satanés bouquins dans tous les coins puisque, n’est-ce pas, on ne cesse pas pour autant de faire des acquisitions. Rebref.

Un an plus tard encore, on se décide à faire venir un ami bouquiniste. Et voilà où je veux en venir. C’est une chose de voir partir ses chers trésors dans la voiture du libraire ; on s’était fait à l’idée, c’est presque une libération. C’en est une autre de les retrouver, quinze jours plus tard, disposés avec soin dans la vitrine dudit libraire, à nouveau désirables. Choc : « Eh, mais ce sont mes livres ! Exposés à la vue de tous ! Et d’autres vont mettre leurs sales pattes dessus ! » J’ai failli tout racheter.


Vendredi 6 mai 2011 | Monomanies |

5 commentaires
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pour faire de la place (lorsque l’envie me prend) je trie et je donne :
- avec enthousiasme ceux que j’ai aimé car ils méritent de nombreux lecteurs
- avec du remords ceux qui ne m’ont fait “ni chaud ni froid”, après tout, ils peuvent convenir à quelqu’un d’autre…
Mais personne ne m’a réellement donné des livres auxquels il tenait ; c’est un beau cadeau pourtant, auquel on ne songe pas assez.

Commentaire par wictoria w 05.20.11 @ 4:26

Au besoin, mon père et moi sommes preneurs de «Série Noire» ! (”Preneur”, ici, au sens d’acheteur).

Commentaire par w3c 05.20.11 @ 8:32

Je fais la même chose, en ce moment.
Trois piles : ceux que je conserve… ceux que je vends sur eBay (pour financer en partie ma prochaine publication… ceux que je mets dans une caisse qui finira sur le trottoir et fera sans doute, enfin je l’espère, le bonheur de quelques-uns.

Commentaire par AdoréFloupette 05.20.11 @ 11:20

Excellente anecdote. « À nouveau désirables », je comprends très bien ce paradoxe : on croit avoir tourné la page de ses anciens désirs, il en demeure toujours une trace.

Des « Série Noire », j’en ai quelques centaines à vendre, w3c. Mais c’est à Paris.

Commentaire par George Weaver 05.20.11 @ 2:23

- w3c : je vous ferai signe au prochain déstockage.
- Georges Weaver : c’est exactement ça.
- Adoré : la prochaine publication, c’est le Mauriès ?

Commentaire par th 05.21.11 @ 11:55



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