Mardi soir, j’essaie un nouveau classement pour ma collection de disques ; je pratique ça souvent, en période de stress émotionnel. Vous trouvez peut-être que c’est une manière plutôt bête de passer la soirée, moi pas. C’est ma vie, j’aime pouvoir m’y promener, y plonger les bras, la toucher.
Quand Laura était là, je rangeais les disques par ordre alphabétique ; auparavant, je les rangeais par ordre chronologique, depuis Robert Johnson jusqu’à… je ne sais pas… Wham !, ou un truc africain, ou autre chose que j’étais en train d’écouter quand j’ai rencontré Laura. Mais ce soir je rêve d’autre chose, alors j’essaie de me souvenir de l’ordre dans lequel je les ai achetés : comme ça, j’espère écrire mon autobiographie sans papier ni stylo. Je sors les disques des étagères, les empile tout autour du salon, cherche Revolver, et je pars de là ; quand je suis arrivé au bout, je rougis tellement je me sens exposé, parce que cette série, après tout, c’est moi. Intéressant de voir comment je suis passé de Deep Purple à Howlin’ Wolf en vingt-cinq étapes seulement ; je n’ai plus honte d’avoir écouté Sexual Healing pendant toute une période de célibat forcé, ni d’une trace du club rock que j’avais formé à l’école pour discuter avec mes camarades de cinquième de Ziggy Stardust et de Tommy.
Ce qui me plaît le plus, dans mon nouveau système, c’est la sensation rassurante qu’il me procure ; grâce à lui, je me suis rendu complexe. J’ai environ deux mille disques, et il faut vraiment être moi […] pour savoir comment en retrouver un. Si je veux mettre, disons, Blue de Joni Mitchell, je dois me rappeler que je l’ai acheté pour une fille à l’automne 1983, mais que j’ai préféré le garder, pour des raisons que je passerai sous silence.
Nick Hornby, Haute Fidélité (10/18 n° 3056)
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