Ici burent (Chelsea)



Chelsea, longtemps réputé pour sa vie de bohème, a abrité tout au long de son histoire une importante constellation d’artistes, de musiciens, d’acteurs et d’écrivains – de Carlyle à Beckett en passant par Meredith, George Eliot, Elizabeth Gaskell, Bram Stoker, Oscar Wilde et plusieurs autres. Aucun d’eux, il va sans dire, n’aurait aujourd’hui les moyens de s’y loger. Ils devaient y apprécier l’ambiance paisible d’ancien village – encore que cet éternel ronchon de Carlyle se plaignît beaucoup du bruit, ce qui prête à sourire (que dirait-il aujourd’hui ?), au point de faire aménager un cabinet de travail insonorisé au sommet de sa maison de Cheyne Row.

Ne laissant jamais rien au hasard, les plaques bleues londoniennes signalent non seulement les lieux de résidence des illustres habitants du quartier, mais encore le pub qui avait leurs faveurs.

Ouverte aux visiteurs, la maison de Thomas et Jane Carlyle présente un intérieur victorien évocateur et bien préservé. Elle fut en son temps un haut lieu de sociabilité, où défilèrent toutes les personnalités du monde culturel et politique. Le couple, dont les relations étaient plutôt tendues, semble-t-il, a connu un destin posthume inattendu. Thomas, figure centrale de la vie culturelle, immensément célèbre de son vivant, auteur d’une œuvre abondante d’historien, d’essayiste et de pamphlétaire fulminant (pas précisément de l’espèce progressiste), n’est plus guère lu de nos jours, on le suppose, que par des universitaires 1. Certains contemporains se plaignaient déjà de sa langue proliférante hérissée d’embarras. L’un d’entre eux écrit en substance que Carlyle présente le cas singulier d’un écrivain semblant avoir désappris sa langue maternelle pour l’écrire comme une langue étrangère. Au contraire, la fortune littéraire de Jane n’a cessé de croître à mesure que se révélait l’importance de sa correspondance. L’intérêt documentaire de ses lettres aussi bien que leurs qualités d’écriture la font tenir aujourd’hui pour une des plus grandes épistolières de langue anglaise. Si Thomas n’était pas d’un caractère commode, on la soupçonne d’avoir été un peu peau de vache. Dans les nombreux extraits de ses lettres disposés aux quatre coins de la maison, on a glané cette perle : Charlotte Brontë, écrit-elle, était « extremely unimpressive to look at ». Et aussi ceci : « Let no woman who values peace of soul ever dream of marrying an author. »

1 Tout de même, sa seule incursion en terre littéraire, Sartor Resartus (le Tailleur retaillé), donne envie d’aller y voir, en raison de son caractère inclassable : « à la fois livre et critique de ce livre, étonnant mélange de roman et d’autobiographie, de réalisme satirique et d’exaltation mystique, de philosophie et de facéties, d’ironie et de gravité » (Michel Fuchs). La traduction française a paru chez Corti.


Thomas et Jane Carlyle portraiturés dans leur intérieur par Robert Tait en 1857.


Dimanche 19 mars 2017 | Choses anglaises, Pérégrinations |

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