Holmes tel qu’en lui-même enfin…

L’ambition des producteurs de cette série en cours de dvdisation (36 épisodes réalisés entre 1984 et 1995) était double :
1. Adapter toutes les nouvelles et les romans de Conan Doyle (la mort de Jeremy Brett ne l’a malheureusement pas permis).
2. Faire table rase des adaptations passées pour revenir à la source des récits originaux.

Ce souci de fidélité à l’univers de Doyle se révèle extrêmement payant. Holmes est rendu à sa complexité, Watson n’est plus le gros balourd caricaturé dans tant de films, et l’œuvre retrouve la richesse de son arrière-plan - traversée de toutes les couches de l’Angleterre victorienne et coloniale -, son humour et sa noirceur (que de crimes passionnels commis sous l’emprise furieuse de la jalousie, ou révélant de sombres turpitudes !).

Si la réalisation est conforme aux standards de qualité du téléfilm britannique (c’est-à-dire soigneuse et appliquée jusqu’au moindre bouton de manchette, mais sans grande personnalité [1]), Jeremy Brett est pro-di-gieux dans le rôle-titre. Sa première apparition dans Un scandale en Bohème, sa voix, son regard, mille sabords, j’en frissonne encore. C’est que là où la plupart de ses prédécesseurs se sont contentés d’endosser le personnage comme on enfile un costume (la casquette à double visière, la loupe et le MacFarlane, lequel sauf erreur n’apparaît nulle part chez Doyle), Brett l’a véritablement intériorisé. Son interprétation magistrale nous donne à voir un Holmes obsessionnel, maniaco-dépressif et confiant à la cocaïne le soin de guérir sa mélancolie chronique, péremptoire, caustique et volontiers théâtral, quelque peu mystificateur aussi, pas nécessairement sympathique en somme, mais brûlant d’une flamme secrète et presque inquiétante, que raniment périodiquement l’arrivée d’un nouveau client et la perspective d’un « mystère insoluble » à éclaircir.

1. Au crédit de sa méticulosité, notons néanmoins que si l’Arsène Lupin médiocrement campé par Georges Descrières était toujours reconnaissable sous ses postiches à deux sous, le Holmes de Brett, qui ne le cède en rien dans l’art du déguisement, parvient à se rendre réellement méconnaissable, y compris pour le spectateur. Le talent des maquilleurs y a autant sa part que le génie du comédien.

***

Addendum (février 2007)
La deuxième saison inspire des sentiments plus mêlés. Les adaptations sont plus inégales et pour quelques réussites il faut compter plusieurs épisodes assez plats et décevants. Edward Hardwicke remplace David Burke dans le rôle de Watson et il faut un certain temps pour que l’alchimie se recompose autrement entre Holmes et le docteur. Disons que si ma préférence va à Burke, force est de reconnaître que Hardwicke, sur la durée, emporte l’adhésion en composant un Watson plus émotif et plus patelin que celui de Burke - et les scénaristes ont intelligemment intégré cette nouvelle donne en suggérant, par petites touches, ce que pouvait être la vie quotidienne des deux bachelors entre deux enquêtes. Quant à Jeremy Brett, il est visiblement déjà malade, les traits prématurément marqués, son jeu paraît moins contrôlé et il se laisse aller à quelques maniérismes (qui ne sont plus ceux du personnage, comme dans la première saison, mais ceux de l’acteur). Quelque chose commence à se fissurer, et ce n’est pas sans engendrer un certain malaise.


Jeudi 23 mars 2006 | Dans les mirettes |

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