Vampirisme et cinéma

Au passage, le scénariste [de Nosferatu] tire parti d’idées liées au thème des vampires, mais étrangères au roman de Stoker. Ainsi [du] piège tendu par l’héroïne au comte lorsqu’elle le retient sur son sein jusqu’à l’aube, pour que la lumière du jour vienne le détruire à tout jamais.
Traitée par Murnau quasi en ombres chinoises, cette scène approche au plus près le lien profond qui unit le personnage de Nosferatu au cinéma lui-même : le comte est un fantôme, une ombre, un jeu fragile de lumière et d’obscurité, qu’une surexposition excessive réduit à néant.

[…]

Lorsque le jeune homme réside au château de Dracula, au début du récit, il laisse voir au comte une photo de sa jeune épouse. Le comte semble fasciné et, aussitôt, signe les documents entérinant son voyage. Emprunté à la littérature classique, ce thème d’une image qui ensorcelle apparaît au cinéma dès Naissance d’une nation (Griffith, 1915). Il reviendra d’une façon lancinante dans de nombreux films parmi lesquels Vertigo (Hitchcock, 1958) occupe évidemment une place centrale. Ce motif — comme celui de la lumière mortifère — désigne dans Nosferatu un lien essentiel entre le cinéma et les vampires : le pouvoir de l’un comme de l’autre tient au mystère des images, à leur pouvoir magique. Le jeune homme garde sur son cœur l’image sa bien-aimée. Apercevant cette « ombre portée » de l’amour, Dracula la convoite, l’identifie comme une proie. Dans les Cicatrices de Dracula (1970), un des derniers soubresauts des productions de série de la Hammer, on retrouvera un serviteur de Dracula qui tombe amoureux d’une jeune femme pour l’avoir aperçue sur une photographie. […] Au cinéma aussi, le spectateur identifie ses proies, les suit à la trace, se projette dans leur conquête, jusqu’à ce qu’elles meurent, quand on rallume les lumières dans la salle. Le spectateur conquérant s’éteint alors un peu lui-même, meurt en tant que corps désirant, sauf à hanter d’autres salles obscures.

Olivier Smolders, Nosferatu contre Dracula.
Les Impressions Nouvelles, « la Fabrique des héros », 2019.


Lundi 25 février 2019 | Grappilles |

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