Salon Solal

Ce sera sans doute son dernier disque. À quatre-vingt-onze ans, Martial Solal avait décidé de ne plus enregistrer ni de se produire en public. La proposition du producteur Jean-Marie Salhani l’a convaincu de retourner une journée en studio. Elle ne pouvait que séduire l’esprit joueur du pianiste 1.

La règle du jeu : improviser à partir d’un nom propre ou de quelques mots écrits sur des morceaux de papier pliés dans un chapeau. Tous ces mots renvoient à la vie personnelle ou professionnelle du pianiste : sa ville natale d’Alger, ses proches (épouse, enfants, petit-fils), des musiciens admirés ou avec lesquels il a joué, des titres de films dont il a composé la musique. Au début de chaque plage, Solal tire un papier du chapeau, le déplie et en fait lecture, explique brièvement ce que ce nom, ces mots lui suggèrent, avant de se lancer sans filet : pas de répétition ni de deuxième prise. Tantôt il se promène librement dans sa mémoire musicale (Dizzy fait inévitablement surgir la grille harmonique d’A Night in Tunisia ; À bout de souffle et Léon Morin, des motifs des B.O. de ces deux films ; Ellington entrecroise des fragments de Prelude to a Kiss et de Take the A Train ; Lee Konitz est évoqué à travers les accords de Hot House/What Is this Thing Called Love). Tantôt il dessine un portrait imaginaire (Liszt, Count Basie) ou esquisse séance tenante un thème que Charlie Parker aurait pu composer dans une vie parallèle (Be Bop). Les pièces sont brèves, compactes, deux minutes et demie en moyenne ; ce sont des fusées. Chaque fois l’on est épaté par l’incomparable netteté de l’attaque et du toucher du pianiste, la vitesse d’éclair de sa pensée, sa faculté d’invention spontanée, son sens du développement d’une idée musicale à partir d’une cellule de quelques notes, déconstruite, reconstruite, transposée dans plusieurs tonalités, retournée comme un gant.
« J’ai joué de la même façon que je le ferais chez moi, le matin, juste pour divaguer sur le clavier. » La prise de son de Julien Bassères, très près du piano, renforce ce sentiment d’intimité partagée. On a vraiment l’impression, tout au long de ce disque enchanteur, d’être assis dans le salon de Solal et de l’écouter muser rien que pour soi.

1 Si les traits d’esprit et les clins d’œil abondent dans ses improvisations, Solal est aussi féru de jeux de mots comme en témoignent les titres de nombre de ses compositions. Ah non ! est une mise en boîte des fastidieux exercices de la méthode Hanon. Cuivre à la mer est une anagramme de Maurice Ravel. On pourrait encore citer Jazz frit, Anathème (thème pour Anna), etc.

Martial SOLAL, Histoires improvisées (paroles et musique). JMS, 2018.


Samedi 30 mars 2019 | Dans les oneilles |

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