André Gill (v. 1860)
“Toute bibliothèque de lettré s’honore d’un second rayon où sont rangés les ouvrages de valeur que le temps a dédaignés“, écrivait au début du XXe siècle l’érudit Chaffiol-Debillemont. Par principe autant que par goût personnel, Charles Monselet fréquentait de préférence ce rayon, parfois plus intéressant que le premier où se serrent les oeuvres de la littérature recommandable.
Polygraphe, érudit et fin bibliophile, Monselet fut l’un des touche-à-tout les plus attachants d’une époque qui en produisit en quantité. Sa silhouette replète et ses façons d’abbé de cour faisaient la joie des caricaturistes. Sa prose séduit par l’alliage de finesse et de naturel bon enfant. Fils d’un libraire nantais, il publie ses premiers poèmes à quatorze ans, avant de gagner Paris où il se lie d’amitié avec Baudelaire, Nerval et Gautier. Il ne tarde pas à se signaler comme un amateur de curiosités littéraires doublé d’un grand déterreur d’écrivains ignorés : son livre le plus célèbre, les Oubliés et les Dédaignés, est consacré à la réhabilitation d’auteurs méconnus du XVIIIe siècle. L’un des premiers, il défend l’étrange Xavier Forneret et tire Restif de la Bretonne de l’oubli relatif où celui-ci était tombé au milieu du XIXe siècle.
“Martyr de la copie”, ainsi qu’il se plaisait à se définir [1], Monselet a publié des centaines d’articles et près de quatre-vingts volumes : poèmes, romans, parodies, chroniques, essais, récits de voyage, sans oublier de savoureux souvenirs littéraires et un dictionnaire assassin et désopilant des écrivains de son temps, la Lorgnette littéraire. Ce gourmet fameux régna aussi sur la chronique de table, genre dont il fut l’un des inventeurs. Il écrivit une vie de Grimod de la Raynière qui est un modèle du genre, composa de nombreuses fantaisies gourmandes. Ses sonnets célèbrent l’andouillette, la truite et la julienne en vers de mirliton. L’un d’entre eux débute ainsi :
Mignonne allons voir si les huîtres
Sont ouvertes au restaurant
On voit par là que le goût de la mystification ne lui était pas étranger. Pendant trente ans, il vécut de critique théâtrale au Monde illustré sans jamais assister aux pièces dont il rendait compte, affirmait-il, “afin de ne pas être influencé“.
Monselet est chichement réédité, le plus souvent chez de petits éditeurs. C’est Plein-Chant qui a réimprimé, avec son soin coutumier, les Oubliés et les Dédaignés. C’est au Lérot qu’on trouvera la Lorgnette littéraire, volume que je me permets de vous recommander en priorité. Les trois quarts des écrivains portraiturés nous sont devenus inconnus, mais ça n’a pas d’importance : le coup de griffe est irrésistible, et Monselet a si bien épinglé des types littéraires qu’il suffit de changer les noms pour retrouver les écrivains et la comédie des lettres d’aujourd’hui.
Disponibles également, l’anthologie la Cuisinière poétique (le Promeneur), la Journée du marchand de vins (Séquences), En Médoc (William Blake and Co.)
Sylvain Goudemare avait réuni une bonne anthologie aux éditions du Griot, le Plaisir et l’Amour ; je crains qu’elle soit épuisée.
Il faudrait tout de même rééditer ses chroniques et ses souvenirs littéraires.
Sinon, on trouve assez facilement du Monselet dans les librairies d’ancien, à condition de pouvoir y mettre le prix.
1. Ma verve fut vite étouffée
Sous le journal, triste fardeau
La servante chassa la fée
L’article tua le rondeau.
Quatrain que tout rédacteur payé à la ligne, votre serviteur inclus, pourrait arborer en blason.