Super-nouvelles
The enquiry into the death of the young woman found in the cellar at Burnt Oak Road proceeded on its routine course. The Press, of course, seized on it avidly. If, as Miss Rose Macaulay says, women are news, and by that presumably meaning live women, murdered young women are super-news. Young women, in the eyes of Fleet Street, are invariably romantic, and to be murdered in a suburban villa and buried under its cellar floor is obviously the quintessence of romance. Banner headlines flaunted their boldest type over double-column stories for just seven times as long as would have been the case if the victim had been an unnewsy young man.
Anthony Berkeley, Murder in the Basement (1932).
British Library Crime Classics, 2021.
Lectures expresses
Anthony Powell, Des livres au mètre (Books Do Furnish a Room, 1971). Traduit de l’anglais par Michel Doury. Christian Bourgois, 1995, rééd. 10/18, 1998.
Dixième des douze volumes du cycle la Danse de la vie humaine, vaste fresque embrassant les transformations de la société anglaise sur une période d’un demi-siècle, des années 1920 au début des années 1970. La question du pouvoir y joue un rôle important : luttes d’influence dans les sphères politiques et intellectuelles, mais aussi jeux de domination au sein des relations personnelles. Un autre motif est celui de la causalité aléatoire réglant le cours des événements qui font une existence humaine. Les douze romans ont pour narrateur le journaliste et écrivain Nicholas Jenkins, qu’on voit évoluer et vieillir de livre en livre, à l’instar des autres personnages récurrents du cycle, placés tour à tour à l’avant et à l’arrière-plan. L’ensemble forme donc une continuité, mais chaque roman propose une narration complète et peut être lu séparément. Ce que j’ai fait moi-même, en lisant les deux premiers avant de sauter au dixième, attiré par l’humour du titre original, Books Do Furnish a Room, difficile à rendre en français, et la promesse d’un livre se déroulant dans le monde de l’édition.
Conclusion provisoire sur la foi de trois livres : Anthony Powell présente le cas d’un romancier chez qui la somme vaut moins que certaines des parties. Il sait camper des personnages variés et complexes parlant chacun avec sa voix, des relations ambivalentes, et fait preuve de talent dans la peinture de la société de classes anglaise, l’animation de scènes collectives (cocktails, soirées mondaines, week-ends à la campagne, mariages et enterrements), la saisie d’un milieu : le monde universitaire dans Une question d’éducation ; les milieux poreux de la bonne société et d’une bohème artiste quelque peu interlope dans les Mouvements du cœur ; les mondes de la politique, de l’argent et de l’édition qui se croisent autour de la naissance d’une revue dans Des livres au mètre. À chaque fois cependant, Powell réussit des scènes mais loupe le dessin secret d’ensemble, le tissu sous-jacent qui fait les grands romans. De sorte qu’on s’ennuie entre des épisodes remarquables, sans toujours parvenir à comprendre pourquoi.
Un détail de traduction. Le titre original du cycle est A Dance to the Music of Time. Il fut traduit tour à tour en français par la Ronde de la musique du temps et la Danse de la vie humaine. En l’occurrence, c’est cette deuxième traduction, la moins littérale, qui est la plus juste. A Dance to the Music of Time est en effet le titre que les Anglais ont librement attribué à un tableau de Poussin, dont le titre français est précisément la Danse de la vie humaine. Or, la référence à Poussin est tout à fait délibérée de la part de Powell, qui commente le tableau par la voix de son narrateur dans le premier roman du cycle, A Matter of Education.
Prolifération






Antiques Road Trip, BBC One
Les nombreuses émissions itinérantes de la BBC sur le monde de la brocante et des antiquités nous feraient croire que le Royaume-Uni est un pays de cocagne où l’on rencontre à chaque coin de rue des antiquaires, des boutiques vintage, des charity shops, des marchés aux puces et des salles de ventes. Pas un village qui n’ait sa boutique gorgée de marchandise jusqu’au plafond, pas un coin de campagne perdu sans son bric-à-brac répandu dans une ancienne cour de ferme ou dans un entrepôt. « Les antiquaires de province [sont] maintenant plus nombreux que les tea shops autour des cathédrales », notait déjà Philippe Jullian dans les années 1960.
Plusieurs raisons expliquent cette prolifération : la situation insulaire du pays ; la surabondance d’objets produits par la Révolution industrielle – mobilier, faïence et céramique, textiles, ustensiles et outils de toutes sortes, et beaucoup, beaucoup d’argenterie –, laquelle Révolution entraîna par réaction une revalorisation de l’artisanat de qualité sous la houlette du mouvement Arts and Crafts ; les innombrables trésors et tourist pieces rapportés d’Italie et d’Orient par des générations de voyageurs au temps des fastes de l’Empire ; le goût sentimental de la bimbeloterie hérité de l’ère victorienne et toujours vivace dans la petite bourgeoisie ; le conservatisme foncier d’une nation où l’on ne jette rien mais où les possessions familiales de plusieurs générations s’accumulent dans les greniers avant d’être déversées dans les boutiques et les salles de ventes. Il en résulte une relation familière aux objets qui fait la particularité de l’esprit de collection à l’anglaise, à quoi s’ajoute la tolérance pour une dose d’excentricité inoffensive. Nulle réprobation sociale ne frappera monsieur et madame tout-le-monde s’ils collectionnent les théières ou les boutons de manchettes. « We are a nation of hoarders », disait en souriant une experte au cours d’une émission anniversaire de The Antiques Roadshow.
Ce goût de l’accumulation va forcément de pair avec celui de la farfouille – lequel excède le monde de la brocante pour englober d’autres passe-temps populaires : l’écumage des berges de cours d’eau, à la recherche de tessons antiques, de pièces de monnaie et débris divers rejetés par le courant ; et le détectorisme, consistant à arpenter les champs armé d’un détecteur de métaux, dans l’espoir d’exhumer un jour, qui sait, un trésor – hobby suffisamment répandu pour avoir inspiré une sitcom, Detectorists – que je n’ai pas vue, et dans laquelle joue la fille de Diana Rigg, Rachael Stirling.

Collectionnite

Bargain Hunt, BBC One.
Au coin des excentriques anglais. Ce monsieur collectionne les boutons de manchettes. Il en possède vingt-sept mille paires. Cela le remplit de joie. Christina Trevanion n’en revient pas. Nous non plus.
Norman Parkinson en mouvement

Les expositions du musée McCord consacrées à la mode sont toujours réussies, qu’il s’agisse de présenter une époque (la mode de l’Expo 67 à Montréal), l’œuvre d’un couturier (Balenciaga) ou celle d’un photographe (Horst P. Horst). L’exposition Norman Parkinson, photographe anglais dont j’ignorais l’existence, ne déroge pas à la règle.
Photographe de mode et portraitiste de vedettes (Audrey Hepburn, David Bowie, Jane Birkin, les Beatles et les Rolling Stones…), Parkinson a été actif durant près de six décennies, des années 1930 à la fin des années 1980. Associé principalement à Vogue, il a collaboré à d’autres magazines, tels que Harper’s Bazaar, Queen et Town & Country. Aussi doué pour le noir et blanc que pour la couleur, il appartient à la génération qui a réinventé la photographie de mode, en délaissant les poses statiques au profit d’un style dynamique et vivant, non dénué d’humour, et en faisant sortir les mannequins des studios pour investir les lieux extérieurs. L’impression de spontanéité qui se dégage de nombre de ses images s’appuie sur un sens très sûr de la composition.
Bien conçue, scénographiée et proportionnée (ni trop ni trop peu), l’exposition présente quatre-vingt photographies et une soixantaine de couvertures de magazines. En regard, une dizaine de robes et d’ensembles splendides de grands couturiers français, italiens et anglais, réalisés entre les années 1930 et 1970.




Lectures expresses
R.C. Sherriff, The Fortnight in September (1931). Persephone Books, 2021.
Best-seller surprise des années 1930 outre-Manche. Venant de subir deux échecs au théâtre, l’auteur croyait si peu en son étoile qu’il était convaincu que son éditeur refuserait son manuscrit. Le livre est emblématique d’un courant important du réalisme anglais, dédié à la peinture des vertus modestes de la low middle class et à l’éloge de la common decency.
Chaque année en septembre, la famille Stevens passe quinze jours de vacances à la mer et c’est toute une expédition. Cette année-ci, si les six membres de la famille retrouvent avec plaisir une routine balnéaire immuable, chacun sent confusément que ces vacances ont un parfum de dernière fois. La pension de famille où les Stevens prennent leurs quartiers depuis toujours manifeste des signes de plus en plus flagrants de délabrement. Mais oseront-ils changer de gîte l’année prochaine au risque de peiner leur vieux couple d’hôtes ? Les deux aînés des Stevens ont grandi et s’essaient timidement au flirt sur la plage. Accepteront-ils de revenir l’année prochaine avec papa-maman, ou n’aimeront-ils pas mieux passer leurs vacances avec des jeunes gens de leur âge ? Comme il en va souvent dans les romans de vacances, le plaisir s’ombre de mélancolie.
R.C. Sherriff manie souplement le discours indirect libre, qui lui permet tantôt de présenter la famille comme un bloc uni et tantôt d’envisager tour à tour le point de vue de chacun des Stevens sur les menus événement de la quinzaine. Il réussit remarquablement une grande scène de malaise social, lorsque la famille est invitée à prendre le thé dans la riche villa du patron de M. Stevens. Son écriture fondée sur l’observation minutieuse des détails de la vie quotidienne a cependant son revers : cette histoire est tout de même bien terre-à-terre et tout en reconnaissant le doigté de l’auteur, on s’ennuie un peu à la longue, il faut le dire. Ce point de vue n’est pas partagé outre-Manche, où la réédition du livre a suscité un accueil critique enthousiaste. La préface, extraite des mémoires de Sherriff, où celui-ci raconte la genèse du livre et donne quelques clés de son écriture, est intéressante, à l’instar de quasiment tous les textes où un écrivain ouvre la porte de son atelier.
Lectures expresses
Thierry Coudert, Anglais excentriques. Tallandier, 2024.
On avait apprécié le bel album qu’avait consacré Thierry Coudert à la Café Society (Flammarion, 2010). L’auteur y décrivait fort bien les réseaux de sociabilité de cet aréopage cosmopolite aux contours imprécis alliant conservatisme et avant-gardisme, et mêlant mécènes, aristocrates, millionnaires de fraîche date, artistes, décorateurs, grands couturiers, musiciens, chorégraphes, figures mondaines et parasites distingués.
Sur un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, les Anglais excentriques déçoivent quelque peu en comparaison. L’approche en est purement biographique – c’est une juxtaposition de portraits –, avec un chouïa d’étude légère sur la définition et la sociologie de l’excentricité. Les familiers du sujet n’y apprendront donc pas grand-chose. Mais c’est agréablement rédigé – à quelques couacs près. Et, grâce à son index, l’ouvrage pourra rendre service pour se rafraîchir la mémoire ou vérifier un renseignement biographique.
