Lectures expresses

Sergueï Dovlatov, le Livre invisible suivi de le Journal invisible. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. La Baconnière, 2023.

Deux formidables récits en miroir.

Le Livre invisible. Récit des tentatives infructueuses de Dovlatov pour publier son premier livre dans l’URSS poststalinienne. Dovlatov n’a rien d’un « dissident » au sens connoté par ce mot, il n’est pas spécialement politisé ; c’est un soutier du journalisme et de la littérature, un conteur né doté d’un solide humour de survie et dont les nouvelles, fondées sur l’observation de la vie quotidienne, rapportent simplement ce qu’il a vu et vécu – mais même cela est impubliable en URSS. Bien entendu, il ne se heurte pas à une censure franche – on ne le menace pas du goulag – mais à une bureaucratie tatillonne et labyrinthique opérant par manœuvres dilatoires, renvoi des responsabilités et petites phrases à sous-entendus. Pour finir, son ultime tentative pour se trouver un éditeur semble enfin en voie d’aboutir, toutes les étapes sont franchies comme par inadvertance mais la publication est bloquée au dernier moment, entre la correction des épreuves et l’envoi sous presse.

Le Journal invisible. Si le récit des déboires d’un écrivain dans un système kafkaïen en décomposition pouvait avoir quelque chose d’attendu, il n’en va pas de même de cette seconde partie qui lui apporte un contrechamp indispensable. Ayant émigré aux États-Unis avec sa femme, Dovlatov s’agrège à une communauté de journalistes russes fraîchement expatriés, qui entreprend de fonder une revue russophone à New York. Le comique d’observation de l’auteur fait à nouveau mouche dans la peinture d’un petit monde vivant en vase clos en ayant transporté dans le « monde libre » son mode de vie en URSS, constitué de personnages diversement excentriques, incompétents ou alcoolisés, combinards par habitude, en complet porte-à-faux avec les règles d’une économie de marché soumise à forte concurrence. L’humour décapant de Dovlatov n’épargne rien ni personne, ni les travers de l’American way of life, ni les discours stéréotypés de ceux qui la critiquent tout en en profitant, ni les postures vertueuses sinon messianiques de la dissidence — comme tous les humoristes, sa première cible est la langue de bois, de quelque bord qu’elle émane —, et il a l’élégance de ne pas s’oublier lui-même en faisant preuve d’autodérision.


lundi 27 mai 2024 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Variations sur le déjà lu

Lecture ou relecture suivant les cas du cycle Bernie Rhodenbarr de Lawrence Block. Les intrigues emberlificotées ne cassent pas toujours des briques mais on s’attache au personnage de Rhodenbarr, bouquiniste à Greenwich Village le jour, cambrioleur la nuit, expert en crochetage indécelable des serrures, obligé plus souvent qu’à son tour de se muer en enquêteur afin de se disculper, les cadavres refroidis par un tiers ayant fâcheusement tendance à surgir sur les lieux de ses forfaits en le désignant comme le coupable idéal.

Comme souvent dans ce genre de série, l’intrigue fournit l’échafaudage indispensable à l’édification d’un petit monde, cependant secondaire quant au plaisir de la lecture. Celui-ci naît précisément du reste, qui est le véritable essentiel : le ton goguenard de la narration – porteur d’une certaine vision du monde 1 –, les retrouvailles avec des personnages, des situations, un schéma narratif récurrents 2, les à-côtés, les moments de pause, les remarques incidentes. C’est ainsi qu’eu égard à la profession officielle de son héros, le cycle Rhodenbarr abonde en notations sur le marché du livre d’occasion états-unien, les petites manies bien observées de la clientèle des bouquineries, la bibliophilie, la collectionnite et les mœurs des collectionneurs en général. Dans le Blues du libraire, deux pages croquignolettes sur une consternante lecture publique de poésie contemporaine, dans un café branché-miteux de Manhattan, vengeront toute personne ayant subi ce genre de supplice.

Dans l’un des romans (j’ai oublié lequel), Lawrence Block, par la voix de son personnage, fait l’éloge d’un auteur de polars négligé, Dan Marlowe, traduit en français dans la Série noire. Alors, on est allé voir.

Jeu de quilles est une belle réussite de roman dur à l’écriture sèche. Blessé au cours d’un braquage, Roy se planque pour se soigner tandis que son complice, le vieux Bunny, franchit la frontière de l’État pour mettre le magot à l’abri. Les deux hommes communiquent au moyen d’un code précis. Au bout d’un certain temps, Roy comprend que son ami a été assassiné. Il se met donc en chasse pour le venger et récupérer l’argent. Cependant, la soif de vengeance, chez lui, obéit à une pulsion plus fondamentale dont l’origine se trouve dans son enfance, et qui est par nature inextinguible. Par là le livre ouvre quelques abîmes, d’autant plus que Marlowe a eu l’intelligence d’opter pour une narration à la première personne, qui nous fait entrer dans la tête et la « logique » d’un psychopathe effrayant de rationalité – la sienne. Le personnage fait vraiment froid dans le dos.

1. Où l’on peut voir en Lawrence Block un enfant de Raymond Chandler, le cambrioleur prenant le relais du détective privé en tant que marginal négligeant la légalité formelle tout en étant porteur d’une morale personnelle, par opposition à des notables fortunés et à une police normalement corrompue — mais néanmoins sympathique pour finir dans sa corruption même, chez Block, non chez Chandler, le cycle Rhodenbarr relevant de la comédie légère, au contraire du cycle Philip Marlowe.

2. Le culte de l’originalité érigé en valeur suprême, depuis le Romantisme, fait négliger l’un des ressorts les plus fondamentaux du plaisir de lire, qui est le plaisir du déjà vu, de la variation sur des thèmes connus. Dans Roman du roman (1980), faisant l’éloge des nouvelles de Conan Doyle, Jacques Laurent écrit qu’il serait presque tenté de sauter les pages d’enquête pour arriver plus vite au début de la nouvelle suivante, afin de retrouver ce moment où Sherlock Holmes et Watson devisent au coin du feu dans leur appartement de Baker Street, avant qu’un client ne débarque, avant que toute intrigue ne se noue.

Lawrence Block, cycle Bernie Rhodenbarr (1977-2022). Onze volumes publiés chez Gallimard (Série noire, Super noire et Folio policier) et au Seuil (avec réédition dans la collection Points). Un volume inédit en français.

Dan Marlowe, Jeu de quilles (The Name of the Game Is Death, 1962), Gallimard, Série noire n° 785, 1963.




Coïncidence

Les coïncidences heureuses. Dans une ville étrangère, alors qu’on vient de commencer la lecture du nouveau Jean Rolin, tomber nez à nez dans une vitrine sur des papillons morphos qui furent, pour l’auteur, l’élément déclencheur de l’écriture du livre.


vendredi 17 mai 2024 | Pérégrinations | Aucun commentaire


Typo des villes (76) : Saint-Malo


jeudi 16 mai 2024 | Typomanie | Aucun commentaire


Chambres


Paris, hôtel Saint-Jacques


Saint-Malo, rue de La Mettrie


mercredi 15 mai 2024 | Chambres | Aucun commentaire