Paul Morand, Flèche d’Orient. Paris, Gallimard, « les Rois du jour », 1932. Belle composition typographique aérée. Texte repris dans Nouvelles complètes, vol. 1, Bibliothèque de la Pléiade, 1992.
Paul Morand est un mélange désarmant d’intelligence et de sottise. Il sait admirablement voir les choses et les donner à voir. On aimerait qu’il s’en tienne là et nous épargne des considérations débiles sur l’âme des peuples et le destin des civilisations. Les cent soixante-dix pages de Flèche d’Orient s’avalent d’un trait. On peut en résumer l’argument comme suit. À la suite d’un pari mondain idiot, un Russe blanc exilé en France effectue un voyage éclair en Roumanie pour y faire l’emplette de caviar, ceci afin de prouver l’incomparable rapidité de la ligne aérienne Paris-Bucarest nouvellement ouverte. Sur place, rien ne passe comme prévu. Notre homme s’engourdit inexplicablement. Diverses rencontres l’entraînent à l’est, toujours plus à l’est, jusqu’à la frontière de son ancienne patrie où il sent retentir en lui l’appel éternel de l’âme slave. Dimitri ne rentrera pas en France.
Ah ouiche. Passons sur cette fin aussi idiote qu’artificieuse tant elle paraît plaquée sur le récit à des fins de démonstration. Auparavant, et heureusement pour nous, le romancier Morand s’est montré plus inspiré que l’idéologue. Le récit, comme souvent chez lui, s’articule autour d’une série de moments, qui abondent en images rapides, saisissantes de justesse : une soirée mondaine tournoyante dans un grand salon parisien ; la peinture de la misère effrayante des pêcheurs d’esturgeons dans des paysages déprimants de désolation ; et surtout la traversée aérienne de l’Europe, où l’écriture de Morand communique admirablement à son lecteur la sensation physique du voyage dans une carlingue bruyante secouée par les trous d’air. Morand est toujours à son affaire dans ces épisodes-là (cf. Lewis et Irène). La vitesse était décidément son cher sujet.
Selon les déductions de l’annotateur de la Pléiade Michel Collomb, Morand n’avait pas encore effectué le vol Paris-Bucarest lorsqu’il écrivit Flèche d’Orient. C’est quelques semaines après la première parution du texte dans la Revue de Paris qu’il embarqua dans un appareil de la CIDNA (Compagnie internationale de navigation aérienne). Nouvelle preuve de ce que la réalité imite l’imagination.
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