Au saxophone ténor, Benny Golson opérait la fusion de qualités opposées : une des sonorités les plus soyeuses de l’histoire du jazz, au charme enveloppant, un phrasé sinueux ; mais aussi une puissance de feu contrôlée, capable d’atteindre une grande intensité. Ses solos témoignaient d’un grand sens du développement musical. Au commencement, tour à tour : une attaque impériale à la Coleman Hawkins ou bien une entrée furtive à pas de chat, comme étonné d’être là ; et puis une montée progressive en intensité, un palier après l’autre.
▸ Five Spot After Dark
▸ Blues-ette
▸ Afternoon in Paris
Instrumentiste, leader, compositeur et arrangeur, c’était un musicien complet. Durant son bref passage chez les Jazz Messengers d’Art Blakey, il eut le temps de donner au groupe quelques-unes de ses pièces emblématiques : le beau Along Came Betty, Blues March, Are You Real? Et de tous les jazzmen de la génération post-parkerienne, il est peut-être celui dont le plus grand nombre de thèmes sont devenus instantanément des standards : Five Spot After Dark, Stablemates, Whisper Not, Killer Joe, Blues on my Mind, I Remember Clifford.
▸ Along Came Betty
▸ Whisper Not, versions instrumentale et vocale
▸ Stablemates
Guy Debord a fait de Whisper Not le leitmotiv mélancolique
de son film In girum imus nocte et consumimur igni (1978).
C’est que ses compositions se signalent par un grand raffinement harmonique, des finesses d’architecture qui les placent un cran au-dessus du thème de jazz ordinaire en AABA. Un bon exemple en est le merveilleux Step Lightly, avec sa construction A – A– B – A – solos – A’ – B – A, où A’ est une paraphrase du thème A ménageant en souplesse, après les solos, une transition vers la réexposition finale.
▸ Step Lightly
Ces qualités de jeu et d’écriture se retrouvent au sein du Jazztet, l’un des meilleurs combos des années 1960 qu’il codirigea avec Art Farmer. On y retrouve le goût des deux coleaders pour des pièces ouvragées comme des miniatures, bien construites, au punch précis. Le Jazztet m’est toujours apparu comme l’incarnation d’un jazz urbain, aux deux sens de l’épithète : une musique qui sent la ville, les enseignes lumineuses, le pavé luisant, mais aussi une musique empreinte de civilité.
▸ Tonk
À l’époque du Jazztet, Golson enregistra un album à contrainte (on pourrait y voir l’équivalent musical de la boule de neige oulipienne), où s’unissent ses qualités de compositeur, d’arrangeur et d’improvisateur. Take a Number from 1 to 10 comporte dix morceaux, avec un musicien qui s’ajoute à chaque morceau. La première pièce est un solo, la deuxième un duo, la troisième un trio, et ainsi de suite jusqu’à dix.
▸ Impromptune
▸ Little Karin
La brève apparition de Golson dans un club de jazz new-yorkais, à la fin de The Terminal – le joli conte de Noël plutôt sous-estimé de Steven Spielberg –, ménage un moment d’émotion. C’est l’irruption soudaine d’un grain de réalité dans un film qui ne prétend aucunement au réalisme. Car la photographie que conserve précieusement Tom Hanks est authentique, et l’homme dont il recueille enfin, pour remplir un devoir filial, le dernier autographe qui manquait à sa collection, est bien le vrai Benny Golson (et non un comédien), à cette date (2004) l’un des derniers jazzmen encore vivants immortalisés sur le célèbre cliché de 1958.
Art Kane, A Great Day in Harlem, photographie prise le 12 août 1958 pour le magazine Esquire.
Depuis la mort de Golson le 21 septembre, l’immarcescible Sonny Rollins est le dernier musicien vivant à figurer sur cette photo emblématique d’Art Kane, A Great Day in Harlem, réunissant cinquante-sept musiciens de jazz.
Benny Golson, Sonny Rollins et Thelonious Monk.
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