La débutante récalcitrante

Il y a des films qu’on peut revoir inlassablement, sans que d’innombrables visions en altèrent le pouvoir euphorisant : Singin’ in the Rain, Rio Bravo, The Pink Panther, My Sister Eileen, The Shop Around the Corner, The Apartment, Groundhog Day, Faisons un rêve… et The Reluctant Debutante de Vincente Minnelli, qui enchanta mon enfance, dont je ne manquai jamais les rares rediffusions même en version française (très supportable), et que voici enfin disponible en DVD. Argument : Jim et Sheila Broadbent accueillent à Londres la fille américaine de Jim, Jane, née d’un premier mariage. Engagée dans un concours de snobisme avec sa meilleure amie-rivale, Sheila pousse sa belle-fille à participer à la season, cette succession de bals ininterrompue où les débutantes en quête du prétendant idéal font leur entrée dans le monde.

Ce film est une bulle de champagne. La minceur même de la trame permet d’y apprécier à l’état chimiquement pur le génie de la mise en scène de Minnelli : timing et finesse dans la comédie de mœurs, la satire d’un rite social déjà désuet à sa date (1958) et la peinture du conflit des générations (compliqué par l’éternel malentendu anglo-américain) ; maîtrise éblouissante de la scénographie se déployant presque exclusivement dans des lieux clos aux espaces emboîtés : appartements, salles de bal, restaurants ; ballet d’équilibriste entre les brefs éclats de pur comique (la merveilleuse Kay Kendall, un an après les Girls de Cukor, se montre une fois de plus irrésistible de drôlerie bouffonne) et la délicatesse dans l’exposé des sentiments. Même dans un film aussi heureux et léger, le rêve tournoyant, chez Minnelli, reste inséparable de sa part latente de cauchemar. On connaît peu de cinéastes capables comme lui de montrer simultanément l’euphorie alcoolisée et l’envers panique des parties mondaines (Rex Harrison, chaque soir un peu plus livide et décomposé par le manque de sommeil, se soutenant en grappillant tous les verres qui passent à sa portée…) Ni de ménager, au milieu de l’agitation ambiante, la parenthèse émouvante d’une scène d’intimité complice entre un père et sa fille, dans la cuisine, aux petites heures de la nuit.


Samedi 2 mai 2015 | Dans les mirettes |

Pas de commentaire
Laisser un commentaire



(requis)

(requis, ne sera pas affiché et restera top secret)