Wu Ming à Liège
En littérature, et plus encore au cinéma, le jazz est un grand pourvoyeur de clichés, un réservoir d’imagerie convenue. Rares sont les fictions qui font ressentir, dans les fibres mêmes de leur écriture, la pulsation intime, l’énergie de cette musique. Et plus rares encore celles qui choisissent pour sujet l’avant-garde des années 1960, plutôt que le pittoresque de la Nouvelle-Orléans, le glamour des grands orchestres swing ou les années be-bop d’après-guerre, ô combien plus iconiques. New Thing de Wu Ming 1 tient ce double pari haut la main. Plus qu’un roman sur le jazz, un roman-jazz.
Voici donc New York à la fin des années 1960. Un mystérieux tueur en série, surnommé le Fils de Whiteman, assassine de jeunes musiciens de free jazz. Une journaliste, Sonia Langmut, couvre l’affaire pour un quotidien de Brooklyn, flanquée de son inséparable magnétophone avec lequel elle enregistre tout (concerts, conversations : des kilomètres de bandes). En toile de fond, le racisme ordinaire et la lutte pour les droits civiques, la montée du Black Power, les soulèvements qui suivent les assassinats de Malcolm X et Martin Luther King - tandis que dans l’ombre les officines des services secrets préparent à coups d’intox et d’infiltration la répression qui s’abattra sur les mouvements radicaux. Et, sur la bande-son, Ornette Coleman, Archie Shepp, Cecil Taylor, Albert Ayler, Sun Ra et un John Coltrane passé de l’autre côté de la musique – auquel l’auteur prête sans ridicule une sorte de monologue intérieur surgi d’outre-tombe.
New Thing restitue avec une grande puissance d’écriture le climat d’une époque où révolution musicale et insurrection politique furent indissociablement liés. La forme du livre épouse intimement son sujet : jam-session polyphonique où les voix de musiciens, de journalistes et de gens de la rue se croisent, se répondent, se complètent ou se contredisent, chacun prenant son chorus à son tour ; enquête à la Citizen Kane sur ce qu’est devenue Sonia Langmut, disparue sans laisser de traces quelque temps après l’affaire ; collage de faits et de fiction juxtaposant comme des pièces de dossier témoignages, envolées lyriques, articles de journaux, fiches du FBI et nombreux emprunts à des textes d’époque.
L’auteur, comme son nom de plume ne l’indique pas, est italien. Wu Ming est un groupe de cinq écrivains qui ont adopté ce pseudonyme collectif autant par défiance envers le vedettariat littéraire que pour mettre l’accent sur leur rapport au politique (wu ming, qui signifie « sans nom » ou « cinq noms » selon la prononciation, est la signature employée par les dissidents chinois). Les Wu Ming militent pour le copyleft, la désobéissance civile, l’affirmation d’un autre monde possible, dans leurs livres et par le biais de canulars médiatiques.
Les membres du collectif ont publié plusieurs romans écrits tantôt à plusieurs mains, tantôt en solitaire (auquel cas ils sont signés Wu Ming 1, 2, 3, etc.). Deux d’entre eux ont paru en français chez Métailié : outre New Thing, Guerre aux humains de Wu Ming 2, qui narre une tentative utopique de fonder une nouvelle civilisation dans l’Italie du XXIe siècle.
Le 23 avril à partir de 19 heures, la librairie Livre aux Trésors propose une rencontre avec les deux auteurs, ainsi qu’avec leur traducteur français Serge Quadruppani. La soirée débutera par la projection d’un documentaire d’archives de jazz, et se conclura par deux concerts : le duo Adem (Alain Delbrassine et Éric Mingelbier) et le trio Riccardo Luppi, Manolo Cabras et Antoine Cirri.
WU MING 1, New Thing. Traduction de Serge Quadruppani. Métailié, 2007, 217 p.
Maison de l’Environnement du Jardin Botanique, 3, rue Fusch, 4000 Liège.
Tous à la mer
Lancement du Bathyscaphe
le jeudi 17 janvier
à partir de 18 heures
à la librairie Gallimard (3700, boul. Saint-Laurent, Montréal).
Au programme : inondation du centre-ville, défilé de plongeurs et de femmes-grenouilles, concours de plongée en apnée et concert du Choeur des poissons-chats de l’Armée Rouge.
Un autre esquif, Pirates au couvent de Benoît Chaput (éditions Myrddin), sera également mis à la mer.
Viendez nombreux !
Émersion
Enfin un journal cher et luxueux
pour les gens qui ne s’intéressent pas à l’actualité !
BATHYSCAPHE n.m. Appareil habitable destiné à conduire des observateurs dans les grandes profondeurs sous-marines.
Pour la première plongée,
l’équipage
Romy Ashby, Anne-Marie Beeckman, Daniel Canty, Benoît Chaput, Byron Coley, Bérengère Cournut, Jimmy Gladiator, Thierry Horguelin, Anthony Kinik, Julien Lefort, Gabriel Levine, Thurston Moore, Hermine Ortega, Hélène Pelletier, Antoine Peuchmaurd, Hannah Reinier et Alexandre Sanchez
vous parle entre autres de
Vito Acconti, Louis Arti, Wallace Berman, Mario Cesariny, Henri-Simon Faure, Pierre Guyotat, René Guénon, Hédi Kaddour, Mauricio Kagel, Oskar Kokoshka, Jean-Pierre Martinet, Rick Myers, Paul Nougé, Christiane Rochefort, Lou-Andréas Salomé, Charlie Schlingo, Bill Shute, Nikola Tesla, l’échangeur Turcot, la Sacred Harp, Ugly Duckling Press et quelques pigeons mystérieux
accompagné en images par
Julie Doucet, Morag Kidd, Anthony Kinik, Nadia Moss, Antoine Peuchmaurd et Barthelemy Schwartz
et scandé par
des aphorismes comme toujours splendides de Pierre Peuchmaurd,
égrenés au fil des pages
Ces noms ne vous disent rien ? Les fonds marins vous sont inconnus ?
C’est que vous ne savez pas nager !
Le Bathyscaphe a été conçu pour vous :
confort, hygiène, pressurisation
vous permettent de plonger au plus profond
comme si vous étiez dans votre salon !
20 pages en couleurs pour 5 dollars ou 5 euros, sans publicité.
Abonnement (5 numéros) : 20 dollars ou 20 euros, port compris.
5545, rue Saint-Dominique
Montréal, Québec
H2T 1V5
lebathyscaphe.blogspot.com
Plus d’un livre dans son sac
L’amateur de livres rares est un bibliophile ; le collectionneur de signets, un chartasignopaginophile. Émile Van Balberghe est - accrochez-vous - un biblio-saccuplstikophile. Comprenez par là que ce libraire-éditeur érudit collectionne les sacs en plastique de libraires, de maisons d’édition, de manifestations littéraires…, témoins modestes mais riches d’enseignements de la vie du livre.
Une partie de cette collection sera présentée du 12 octobre au 23 novembre à la Maison du Livre (24-28, rue de Rome, 1060 Bruxelles). L’exposition retracera aussi les diverses facettes d’un amoureux du livre au parcours atypique. Lors du vernissage, le 11 octobre à 18 h 30, Émile Van Balberghe s’entretiendra avec Patrick Moens, lui-même ancien libraire et collectionneur, sur les raisons de ce grand rassemblement de sacs et autres ephemera littéraires (marque-pages, ex-libris, faux livres en plâtre, affichettes, etc.), ainsi que sur les origines et les fruits de ses passions éditoriales et bibliophiliques.
L’Apparition
On crut d’abord à un faux bruit. Vain soupçon : car voici paru un digipack mirobolant produit par l’INA, groupant trois films du scriptor qui tant nous ravit, à quoi sont joints maints bonus roboratifs : intervious pour la TV, radiodiffusions, and tutti quanti. Attrayant fourbi - surtout pour nous qui n’avons jamais pu voir ni Narrations d’Island ni Locus d’un abandon -, butin dont, puisant sans souci à un magot pourtant fort riquiqui (tant pis s’il nous faut pour ça souffrir d’inanition durant un mois !), sacrifiant, oui, pour un coup, au goût d’aujourd’hui pour la consommation, nous accomplirons rapido l’acquisition. Nous voilà tout palpitant, dansant sur maint charbon brûlant !
***
DVD 1
Récits d’Ellis Island, de Georges Perec et Robert Bober (1978-1980)
1ère partie : Traces (57’)
2e partie : Mémoires (60’)
De 1892 à 1924, près de seize millions d’émigrants en provenance d’Europe, chassés par la misère, la famine, l’oppression politique, religieuse ou raciale sont passés par Ellis Island, îlot de quelques hectares aménagé en centre de transit, près de la statue de la Liberté, à New York. Ellis Island représentait pour Perec, « le lieu même de l’exil, le lieu de l’absence de lieu, le non-lieu, le nulle part.»
DVD 2
Les Lieux d’une fugue, de Georges Perec ( 1978, 41’)
« C’était le 11 mai 1947. Il avait onze ans et deux mois. Il venait de s’enfuir de chez lui, 18 rue de l’Assomption, seizième arrondissement… » Georges Perec adapte lui-même cette histoire pour la série Caméra-je, produite par l’Ina.
Trois entretiens avec Georges Perec :
- Lectures pour tous (1965,12’, et 1967, 10’)
Georges Perec fut deux fois l’invité de Lectures pour tous, magazine littéraire animé par Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet, lors de la parution des Choses, et pour Un homme qui dort.
- Ciné Regards (1979, 12’)
Anne Andreu s’entretient avec Georges Perec sur son rapport au cinéma et sur le fait d’« écrire pour des images », à l’occasion de la sortie de Série noire (Alain Corneau), dont il a écrit les dialogues.
CD
Radioscopie, (1978, 54’)
En 1978, Jacques Chancel invite Georges Perec à parler de la Vie, mode d’emploi.
Cinquante choses que j’aimerais faire avant de mourir (1981, 16’)
En novembre 1981, Georges Perec fut l’un des premiers à se prêter au jeu proposé par cette émission et à établir cet inventaire, qu’il limita volontairement à 37 éléments.
P.-S. : Ce dimanche 22 avril à 16 heures sur France-Culture, l’émission Une vie, uneœuvre de Catherine Pont-Humbert sera consacrée à Perec. Avec Marcel Bénabou, Robert Bober, Bernard Magné, Paulette Perec et Jacques Roubaud. Textes lus par Jacques Spiesser (le comédien — muet — d’Un homme qui dort).
Calvino in extenso
Suivant une solide tradition hexagonale, l’édition française des œuvres d’Italo Calvino est un tel casse-tête (recueils originaux incomplètement traduits, ou encore démembrés et recomposés autrement dans un arbitraire total) qu’on ne peut que se réjouir que le Seuil ait enfin entrepris d’y mettre bon ordre - même si cela signifie qu’il va falloir tout racheter… Après les deux volumes d’essais (Défis aux labyrinthes, 2003), voici deux recueils de Romans, nouvelles et autres récits. La consultation des tables des matières, où les textes traduits pour la première fois sont marqués d’un astérisque, permet de mesurer l’ampleur considérable de cette masse d’inédits. Beaucoup de bonheurs de lecture en perspective, donc.
Catherine Binet (1944-2006)
Catherine Binet est morte hier à Paris. Elle avait soixante et un ans. Celle qui fut la compagne de Georges Perec avait réalisé en 1980 un fascinant film-ovni qui mériterait d’être mieux connu, les Jeux de la comtesse Dolingen de Gratz, inspiré du très beau texte d’Unica Zurn, Sombre Printemps.
Elle ne réussit pas à monter son projet suivant, l’adaptation d’un texte exhumé par Michel Foucault, Herculine Barbin, dite Alexina B. Mais tourna néanmoins des courts métrages sur l’art, Trompe-l’oeil (1982), les Passages parisiens (1982), Jacques Carelman (1983), que je n’ai pas vus, - et réalisa en 1990 ce qui reste à ce jour le meilleur documentaire sur Georges Perec, Te souviens-tu de Gaspard Winkler ?
Elle avait publié il y a quelques mois un intéressant livre carnet de bord, les Fleurs de la Toussaint (paru chez un éditeur, Champtin, qui a malheureusement travaillé comme un cochon).
Voilà. Tristesse.