Bilan annuel

Livres : 96
Films : 76 (la chute libre continue)
Séries : 12 (pour un total de 13 saisons, dont 2 en cours)
Disques (première écoute) : 182, dont jazz (161), classique (8), blues & soul (4), rock-pop (4), musicals (2), BO (2), chanson française (1). Merci à la Médiathèque, sans laquelle ma vie ne serait pas la même.

Les bavardages auxquels vous avez échappé cette année, en raison du manque de temps et de ma très grande paresse :
– Recensions de livres : le Fantôme de Baker Street de Fabrice Bourland (10/18) ; Dictionnaire de l’argot des typographes d’Eugène Boutmy (Le mot et la lettre) ; le Journal de Manchette (Gallimard) ; les Chroniques d’Hector Fabre (mais Antoine P. en a parlé ici) ; Ma vie sur un tabouret de Martial Solal (Actes Sud) ; Mr Beck’s Underground Map de Ken Garland (Capital Transport) ; G.K. Chesterton, les Contes de l’Arbalète (l’Âge d’homme) et l’Assassin modéré (Le Promeneur).
– Recensions de disques : Fred Anderson/Harrison Bankhead, The Great Vision Concert (Ayler records) ; Evan Parker/Matthew Shipp, Abbey Road Duos (Treader) ; Rabih Abou-Khalil, The Cactus of Knowledge (Enja) ; Steve Harris/Zaum, I Hope You Never Love Anything as Much as I Love You (Amazon) ; Randy Sandke, Inside Out (Nagel Heyer) ; Steve Lehman, On Meaning (Pi) ; David Murray/Mal Waldron, Silence (Justin Time) ; Sharon Jones & The Dap Kings, 100 Days, 100 Nights (Daptone) ; Emmanuelle Bertrand, Oeuvres contemporaines pour violoncelle seul (Harmonia Mundi) ; ainsi que les rééditions de deux de mes alboums preferés : Clusone 3, Soft Lights and Sweet Music (Hatology) et Gary Bartz, There Goes the Neighborhood (Candid).
– Nouvel éloge de Tina May, la chanteuse de jazz la plus originale du moment avec René Marie (laquelle est une dame comme son nom ne l’indique pas).
– « La dialectique de Faust », note sur Iron Man de Jon Favreau, mon film de 2008 préféré (mais je n’ai été que trois fois au cinéma).
– Note sur Donald Evans.
– Éloge du 78 tours.

Locus Solus accueille une moyenne de 1500 « visiteurs uniques » par mois. Merci aux aimables lecteurs et aux ameugnonnantes lectrices qui m’ont écrit, parfois pour me recommander des livres et des disques. Il est devenu banal de compiler les mots-clés absurdes, baroques ou grotesques par l’entremise desquels des bataillons d’égarés – parmi lesquels un fort contingent d’obsédés sexuels – atterrissent par erreur sur un site 1. Je prendrai donc cette année le contrepied de cette pratique en saluant les internautes arrivés en ces lieux pour de bonnes raisons (si, si, cela arrive). Meilleurs vœux, donc, aux amoureux, aux amateurs, aux curieux de :

Adios Schéhérazade | Archibald O. Barnabooth | John Barth | Count Basie | Le Bathyscaphe | Max Beerbohm | Robert Benchley | John Berendt | Catherine Binet | Adolfo Bioy Casares | Derek Birdsall | Anthony Braxton | Jeremy Brett | François Caradec | Benoît Chaput | Albert Cim | Richard Cook | Bérengère Cournut | Ned Crabb | John Crosby | Des bibliothèques pleines de fantômes | Dortmunder | Conan Doyle | Mrs Eaves | Félix Fénéon | E.M. Forster | Roger Fry | Stephen Fry & Hugh Laurie | Fu Manchu | Ganelin Trio | Jimmy Giuffre | Johnny Griffin | Chico Hamilton Quintet | Anne-Sylvie Homassel | Alfred Jarry | Francis Lacassin | Allen Lane | Pierre Louÿs | Leopoldo Lugones | Chris Marker | Warne Marsh | Charles Mingus, Cornell 1964 | Paul Masson, dit Lemice-Terrieux | Patrick Mauriès | Dave McKenna | Charles Monselet | Mount Everest Trio | Anita O’Day | Paludes | Paris ne finit jamais | The Penguin Guide to Jazz Recordings | Petit Guide du XVe arrondissement à l’usage des fantômes | Pierre Peuchmaurd | Position Alpha | Alain Resnais et la musique | Raymond Roussel | Richard Stark | André Stas | State of Play | Stendhal | Jacques Sternberg | Lytton Strachey | Lew Tabackin | Roger Tailleur | Ross Thomas | Patrick Tourneboeuf | John Trinian | La Vierge au sac d’or | Le Visage vert | Donald Westlake | The Wire

Plus rapide qu’un gunfighter sans nom dans un western spaghetti, notre filtre anti-spam a flingué en vol 6272 pourriels et mis au purgatoire les IP de 5795 affreux, sales et méchants robots spammeurs. Merci à lui aussi.

1. Amateurs de listes, voyez nos bilans 2006 et 2007, chez Antoine P. ou encore Laure Limongi.


jeudi 1 janvier 2009 | Monomanies | Aucun commentaire


Accumulations

Les « entasseurs » donnent l’impression d’avoir perdu toute limite quantitative et d’avoir renoncé à lire les ouvrages accumulés. Galantaris cite le cas de sir Richard Heber (1774-1883) qui possédait 300 000 volumes répartis dans cinq bibliothèques différentes, en Angleterre et sur le continent, chacune ayant envahi cinq demeures («les livres étaient omniprésents et formaient de véritables forêts avec allées, avenues, bosquets, chemins dans lesquels on se heurtait aux piles et aux amoncellements qui débordaient des rayons, encombraient les tables, les meubles, les parquets… »). Quant à Antoine-Marie-Henri Boulard (1754-1825), ancien notaire et maire du VIIIe arrondissement de Paris sous Napoléon, il avait tout d’abord entrepris de sauver les livres que les confiscations et détournements révolutionnaires avaient jetés sur le marché, et finit par remplir neuf ou dix immeubles acquis pour y loger ses 600 000 volumes. Leur vente, organisée par ses fils entre 1828 et 1832, provoqua paraît-il un tel encombrement des librairies et des boîtes de bouquinistes que les prix de l’occasion s’effondrèrent durant plusieurs années.

Jacques Bonnet, Des bibliothèques pleines de fantômes


vendredi 7 novembre 2008 | Bibliothèques,Monomanies | Aucun commentaire


Depuis A jusqu’à Zyxt

« C’est le Super Size Me de la lexicographie », écrit à propos de ce livre Nicholson Baker. Dans Reading the OED (One Man, One Year, 21,730 Pages), Ammon Shea raconte en vingt-six chapitres numérotés de A à Z comment il a passé une année à lire intégralement le monumental Oxford English Dictionnary : vingt lourds volumes composés sur trois colonnes, dont chaque notice, d’une profusion maniaque, constitue un mini-séminaire de sémantique et d’étymologie. De cette odyssée démentielle, Shea a rapporté une poignée de mots rares dont l’équivalent français nous serait bien utile. L’acnestis désigne ainsi cette région du dos hors de portée de main, qui transforme certaines démangeaisons en cauchemars (« Chérie, pourrais-tu me gratter l’acnestis, s’il-te-plaît ? Aaaah, merci ! Ça va mieux. »). La deipnophobia, c’est la phobie des dîners en ville. Lire le dictionnaire, écrit Shea, c’est comme tenter de se souvenir de chaque arbre aperçu par la fenêtre d’un train en marche. Au fil de son périple sur l’océan du langage, il est passé par plusieurs phases successives, de la griserie à l’ennui sans bornes, de l’overdose à la catatonie. Certains jours, il s’est demandé s’il savait encore parler anglais, ayant la cervelle si farcie de mots qu’il ne parvenait plus à formuler une phrase simple. Il a aussi expérimenté d’intéressants phénomènes hallucinatoires, proches de ceux dépeints par Benchley dans « Comment devenir fou ? » : tomber en arrêt devant un substantif aussi quelconque que glove en se demandant hébété comment un tel mot peut exister [1]. Au chapitre O, il confesse entendre la nuit une voix désincarnée lui réciter lentement des définitions. Dangereuse pour son équilibre mental, l’entreprise n’est pas non plus sans risque pour sa vie privée. Après avoir détaillé l’étymologie d’un mot rare à sa petite amie, il s’inquiète au chapitre P de savoir si par hasard il ne l’ennuie pas. « Il y a longtemps que j’ai franchi ce cap », lui répond-elle.

Nos piles de livres à lire ayant l’inquiétante allure de gratte-ciel menacés d’effondrement imminent, nos listes de lectures étant déjà kilométriques, il n’est pas sûr que nous lirons un jour Reading the OED. Mais nous n’avons pas attendu Pierre Bayard pour savoir que les livres qu’on n’a pas lus occupent une place non négligeable dans nos bibliothèques imaginaires. Un résumé, un compte rendu suffisent parfois à les faire exister avec autant de force que nos lectures de chevet. Quand bien même on n’ouvrirait jamais Reading the OED, il est réconfortant de savoir qu’existent de par le vaste monde d’aussi sympathiques monomanes, capables de consacrer une année de leur vie à une aussi folle entreprise. Je vous renvoie donc pour plus de détails à l’excellente recension de Nicholson Baker, parue dans le New York Times Book Review, d’où provient la substance de ce billet, et qui m’a donné séance tenante l’envie de la partager.

1. Notons en passant, puisque tout nous ramène à lui, que le survol distrait de l’Encyclopedia Britannica avait inspiré à Benchley « Une idylle encyclopédique » :
« La jeune femme se retourna, son cromorne à la main, avec un air d’oryctérope effaré », etc.


mardi 2 septembre 2008 | Monomanies | 1 commentaire


Farces & attrapes

Paul Masson, dit Lemice-Terrieux (1849-1896), fut le plus grand mystificateur de son temps. Élève des jésuites, il fait son droit et débute dans la carrière d’avocat à Vesoul. Diverses plaidoiries retentissantes et autres tours pendables lui valent d’être muté successivement en Afrique du Nord, puis à Chandernagor, et enfin à Pondichéry où il occupe le poste de procureur de la République (1880). C’est ici que prend place un de ses premiers grands exploits, typique de sa manière. Sous le nom de Joseph de Rozario (propriétaire), il adresse au Figaro un émouvant récit de l’expulsion de Chandernagor des pères jésuites Vacquant et Bordereau, en application des décrets du 29 mars 1880 ordonnant la dissolution des congrégations religieuses. D’autres journaux conservateurs se font l’écho scandalisé de ce témoignage des aberrations commises au nom de la séparation de l’Église et de l’État. Bien qu’anticlérical, le gouvernement français, déjà ébranlé par l’exécution de ces décrets dans la métropole, se sent tenu d’ordonner une enquête. Elle est, naturellement, confiée sur place à Paul Masson lui-même. Ce dernier s’acquitte de sa tâche avec un zèle considérable. Il parcourt le pays en tous sens aux frais de l’État, avant d’envoyer à Paris un rapport d’où il ressort que le Figaro a certainement été victime d’un farceur — puisqu’il appert qu’il n’y a jamais eu de jésuites dans les Indes françaises.

De retour en France après un nouveau détour par l’Afrique du Nord, Lemice-Terrieux passe à la vitesse supérieure. 1891 sera sa grande année. Tantôt il se déguise en maître d’hôtel et se poste à l’entrée d’un grand bal en annonçant à tous les arrivants que le gala est annulé. Tantôt il inonde le Tout-Paris de cartons d’invitation à une brillante soirée chez une victime non prévenue. À d’autres, il fait livrer des pianos à queue et autres meubles encombrants. Par voie de presse il fait anonymement annoncer que le riche Cernuschi met 100 000 francs à la disposition des grévistes de la Compagnie des omnibus pour les soutenir dans leur juste cause. Lui-même promet 30 000 francs de sa poche à la Société des Beaux-Arts pour l’encouragement des jeunes artistes — puis dément aussitôt en protestant vertueusement contre le mauvais plaisant qui a répandu ce canular. Il y en aura comme ça par dizaines. Dans Le XIXe siècle, Henry Fouquier s’épate : « Ce qui m’étonne par-dessus tout, c’est qu’il se trouve des gens pour avoir le temps de combiner ces farces, de les préparer, de les exécuter. Commander des lettres, les mettre dans des enveloppes, les envoyer, faire des adresses, voilà bien des affaires et je sais que, pour ma part, quand une obligation sociale, — le jour de l’an, par exemple, — me contraint à une semblable besogne, j’en suis excédé. Il faut donc qu’il y ait dans la mystification une bien grande joie, pour qu’on puisse y donner de tels soins et y perdre son temps ? » Il faut croire que si.

Toujours en 1891, Masson publie un faux célèbre, les Réflexions et pensées du général Boulanger, extraites de ses papiers et de sa correspondance intime. Deux ans plus tard, il récidive en faisant paraître un prétendu Carnet de jeunesse du prince de Bismarck. Selon Colette, cet opuscule faillit être cause de guerre entre la France et l’Allemagne. « Un peu plus tôt, un peu plus tard… », répond pour sa défense le fauteur de troubles.

1894 le voit poser sa candidature à l’Académie française en même temps qu’au poste de bourreau de la République. En avril, les journaux annoncent qu’il prononcera une conférence sur La fumisterie et les fumistes depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Le public se presse nombreux (on va bien rigoler) mais légèrement méfiant (que nous prépare-t-il ?). Beaucoup refusent de confier leur manteau au vestiaire (on ne sait jamais), certains redoutent que Masson ne se présente tout simplement pas, vous allez voir qu’il nous a posé un lapin. Mais non : à l’heure dite survient le conférencier, qui se lance dans un exposé extraordinairement technique, et d’un majuscule ennui, sur la fumisterie industrielle et tous les modes historiques de chauffage à travers les âges, en recommandant pour finir les poêles et tuyaux de cheminée d’une maison anglaise dont il est devenu pour la circonstance le représentant exclusif en France. Une stupéfaction navrée envahit peu à peu les visages et les bancs, un à un, se vident — tandis que l’orateur, imperturbable, poursuit son discours monotone. Henri Mazel donne un compte rendu détaillé de la soirée dans l’Ermitage d’avril 1894. Mais en novembre, le Voltaire affirme qu’elle n’a jamais eu lieu. Qui faut-il croire ? Tout le génie de Masson est là, dans cette manière de susciter quasi naturellement le doute sur les méfaits qui s’attachent à sa légende. « On m’a prêté, confie-t-il à Adolphe Brisson, beaucoup de facéties dont je ne suis pas coupable […]. J’en ai désavoué la paternité ; on n’a pas ajouté foi à mon démenti… Vous-même, en ce moment, vous ne savez pas au juste si je vous trompe ou si je suis sincère. Et votre perplexité me rend heureux. »

Deux ans plus tard, il lance une grande enquête sur les bruits dans l’amour, en promettant l’anonymat aux répondants : « Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir me faire connaître dans le plus bref délai quelles sont les phrases, interjections ou onomatopées qui vous échappent le plus habituellement aux heures d’extase. »

Mais voici ma préférée. Elle est rapportée par Colette dans Mes apprentissages. Masson travaille alors à la Bibliothèque Nationale. Durant les vacances de l’été 1894 qu’il passe à Belle-Île avec Willy et ladite Colette, celle-ci le voit parfois s’installer sur un rocher et sortir de sa poche un paquet de fiches vierges qu’il entreprend de remplir. Que mijote-t-il donc ?

— Je travaille. Je travaille de mon métier. Je suis attaché au catalogue de la Nationale. Je relève des titres.
J’étais assez crédule, et je m’ébahis d’admiration :
— Oh !… Tu peux faire ça de mémoire ?
Il pointa vers moi sa petite barbiche d’horloger :
— De mémoire ? Où serait le mérite ? Je fais mieux. J’ai constaté que la Nationale est pauvre en ouvrages latins et italiens du XVe siècle. De même en manuscrits allemands. De même en autographes intimes de souverains, et bien d’autres petites lacunes… En attendant que la chance et l’érudition les comblent, j’inscris les titres d’œuvres extrêmement intéressantes — qui auraient dû être écrites… Qu’au moins les titres sauvent le prestige du catalogue, du Khatalogue…
— Mais, dis-je avec naïveté, puisque les livres n’existent pas ?
— Ah ! dit-il avec un geste frivole, je ne peux pas tout faire.

Question : combien de ces fiches ont-elles franchi l’étape de la numérisation, et figurent encore au catalogue de la Bibliothèque nationale de France ?

***

Sources : Encyclopédie des farces et attrapes, sous la direction de Noël Arnaud et François Caradec (Pauvert, 1964). La Farce et le Sacré, de François Caradec (Casterman, 1977).

Ajoutons que Lemice-Terrieux collabora aussi à L’Intermédiaire des chercheurs et curieux durant près de vingt ans : combien d’érudits candides a-t-il aiguillé sur des fausses pistes ? On le soupçonne encore d’avoir semé quelques notices de son cru dans le Grand Larousse encyclopédique.




Bilan annuel

Livres : 86 (- 1)
Films : 101 (- 12)
Séries : 18 (pour un total de 20 saisons, dont 3 en cours)

Au terme de plusieurs années de traque, la totalité des disques gratifiés d’une couronne dans toutes les éditions du Penguin Guide to Jazz Recordings est à présent réunie sur mes rayonnages – soit une petite centaine d’albums et de coffrets.
L’intérêt de cette liste est de n’être pas un palmarès ; plutôt l’expression d’une préférence personnelle des auteurs. De sorte qu’à côté de quelques grands incontournables (Kind of Blue, A Love Supreme, Out to Lunch! ou Mingus Ah Um), l’amateur y glane avec bonheur quantité de perles méconnues (de Prayer for Peace d’Amalgam à The Day Will Come de Howard Riley en passant par The Great Sound of Sound de Position Alpha et l’euphorisant A Meeting of the Times de Roland Kirk et Al Hibbler), sans oublier quelques tocades vraiment étranges (j’ai beau écouter de toutes mes oneilles, je ne trouve toujours pas le moindre intérêt à Lenox Avenue Breakdown d’Arthur Blythe), et c’est très bien ainsi.
À présent je me propose de les réécouter à la file à raison d’un disque par jour.

Locus Solus accueille chaque mois 1350 « visiteurs uniques ». Comme toujours, les algorithmes facétieux des moteurs de recherche ont attiré en ces lieux d’innombrables internautes en quête d’informations les plus baroques [1]. Ils ont également donné de faux espoirs à quantité d’élèves et de lycéens au bord du suicide, à la recherche les uns d’un commentaire composé clé en main de la Chartreuse ou de Lucien Leuwen, les autres d’un résumé tout fait du Meurtre de Roger Akroyd, du Couperet ou encore des Hommes dansants de Conan Doyle (hey, guys and dolls ! cette nouvelle fait vingt pages, lisez-la donc, ça ira plus vite). La palme de la candeur déçue revient au désespéré qui a googlé : Stendhal idée de travail.

Notre dispositif anti-spam a bloqué dans ses filets pas moins de 4112 pourriels faisant de la réclame pour des maisons de jeu en ligne ou vantant les mérites de divers psychotropes, anxiolytiques et autres stimulants de la fonction érectile. Au passage, il a inscrit sans pitié sur liste noire les identifiants de 2395 vils robots spammeurs. Nous lui disons merci.

1. poésie pour les toilettes – que font les mandrills la journée – les rats une redoutable organisation sociale – bibliothèque sur la facturation tronquée – qu’est-ce qui enrobe un cigare – grilles appliquées au roman à la presse – quelque chose qui roule commençant pour bibli – psst ah oh ahia – lexique des chiffrages harmoniques – panne de bouilloire – l’histoire de 1re théière électrique du monde – comment reconnaître un biscuit ancien – comment se débarrasser des lièvres sur son terrain – comment écrire au revoir à une collègue – détourner des cageots – signification du chapeau du père – personnalité d’un nez pointu – faire ses conserves de cornichons – total de crimes passionnels commis en 2006 – écrivains et soulographie – explication désillusion mariage de Loti – Raymond Roussel chocolat – déménagement de Georges Perec – pour Samuel Beckett l’objet se dérobe – Julien Gracq maniaco-dépressif – petites humidités amour Léautaud – l’amour après un infarctus – entre les cuisses de ma voisine – récit dépucelage – gratuit voir comment est le dépucelage – action réelle du dépucelage – dépucelage par une professionnelle – dépucelage avec bouchon de stylo – etc., etc.


mardi 1 janvier 2008 | Monomanies | 2 commentaires


Kleptobibliopathie

« De tous les êtres créés par Dieu, le bibliophile est, sans contredit, le plus égoïste et le plus féroce », affirmait Edmond Texier. Et plus que les rats et les mites, l’incendie ou l’inondation, il craint par-dessus tout l’engeance maudite des emprunteurs de livres. « Ite ad vendentes ! », avait fait graver Scaliger au fronton de sa bibliothèque : oui, « allez en acheter » [des livres, et laissez-moi les miens]. Quant au peintre Daniel du Moustier, il avait inscrit sur la plinthe de ses rayonnages la devise suivante : « Que le diable emporte les emprunteurs de livres ». Ils avaient raison : un livre emprunté n’est jamais rendu ; et, dans l’univers impitoyable des bibliomanes, on ne peut se fier à personne. Mgr Pamphili, futur pape Innocent X, ne fut-il pas surpris à glisser sous sa soutane une rare Histoire du Concile des Trente chez le déjà nommé du Moustier ? Le peintre ne fit ni une ni deux et mit aussitôt l’homme d’église à la porte. Lui-même, cependant, ne se gênait pas pour se servir dans la bibliothèque des autres…

Mais aussi, comment résister à la tentation quand on est kleptomane ? Le libraire N. était bien connu pour empocher les livres à sa portée chez les bouquinistes et dans les salles de ventes. Cette manie douce était considérée par ses confrères avec indulgence. Les bouquinistes détroussés lui adressaient leur note qu’il acquittait sans barguigner. Si le vol avait lieu en salle de ventes, on arrêtait l’homme à la sortie pour lui demander si, par hasard, il n’emporterait pas tel ou tel ouvrage ? «Ma foi, vous avez raison, je suis si distrait. » Et de restituer gentiment les volumes sans manifester le moindre embarras. Ou bien, les enchères ouvertes, le commissaire priseur énumérait les lots manquants en annonçant au son du marteau : « Adjugés à M. N. » N. réglait la note, et recommençait le lendemain.

Bien plus redoutable est l’espèce des amateurs assassins. J’ai narré il y a quelque temps l’histoire du plus célèbre d’entre eux, Don Vincente, le libraire tueur en série de Barcelone. Mais voici son procès. Le procureur fait remarquer qu’il n’existe qu’un exemplaire connu d’un livre imprimé par Palmart en 1482 – exemplaire qu’on savait appartenir au libraire Patxot, l’une des victimes de la vague de meurtres qui vient de secouer la ville. Puisqu’on a retrouvé cet ouvrage chez Vincente, c’est bien la preuve qu’il est le meurtrier. L’avocat de la défense démontre alors que le livre figure au catalogue d’un libraire parisien. S’il en existe un deuxième exemplaire, il a fort bien pu s’en trouver un troisième. Cet argument n’évitera pas à l’accusé la condamnation à mort. Mais durant la plaidoirie de son avocat, alors qu’il avait observé jusque-là un calme olympien, voici Vincente qui fond en larmes.L’Alcade : Enfin, Vincente, vous commencez à comprendre l’étendue de votre faute ?Vincente : Ah ! seigneur Alcade, mon erreur était grossière !L’Alcade : Il vous est encore possible d’implorer la clémence de notre auguste régente.Vincente : Ah ! Si Vous saviez comme je suis malheureux !L’Alcade : Si la justice humaine doit être inflexible, il est une autre justice dont la clémence est inépuisable, et le repentir est toujours méritoire.Vincente : Ah ! seigneur Alcade, mon exemplaire n’est pas unique !

Redoutable aussi, l’engeance des dépareilleurs et des élagueurs. À Lyon, la tactique du docteur R. consistait à subtiliser un tome quelconque d’un ouvrage en plusieurs volumes, puis à repasser quinze jours plus tard chez le libraire marchander le restant, « qui, vous le voyez, est incomplet. » Quant à cet amateur rémois, il s’était constitué à petit prix une collection d’ouvrages rares. « Notre homme, raconte Louis Paris – ancien bibliothécaire de la ville de Reims -, achetait volontiers les défectueux: cela s’explique, il les payait peu cher et possédait l’art de les mettre au complet. Voici comment il procédait : il entrait chez vous à titre d’ami, visitait votre bibliothèque, parcourait tel ou tel ouvrage, surtout celui dont il avait l’incomplet ; puis, si vous tourniez la tête, zest ! la feuille désirée disparaissait, et notre galant remettait à sa place le volume déshonoré. »

Alors, certains se méfient, témoin ce collectionneur de La Haye, propriétaire de la plus riche bibliothèque connue d’elzeviers, qui obligeait qui voulait contempler ses trésors, fût-il un ami intime, à revêtir une grande robe sans manches et sans ouvertures pour laisser passer les bras. Voleurs, pour tromper la surveillance de tels cerbères, faites-vous nommer à des postes de responsabilité. Guillaume Libri, qui n’en était pas à son coup d’essai, obtint en 1841 la charge de secrétaire de la commission chargée d’établir le Catalogue général et détaillé de tous les manuscrits, en langue ancienne et moderne, actuellement existant dans les bibliothèques des départements. C’était faire entrer le loup dans la bergerie. Accueilli avec des courbettes par les édiles municipaux et laissé sans surveillance dans les réserves précieuses, il s’en donna à cœur joie en puisant à pleines mains dans les collections, puis en maquillant ses larcins par de fausses indications dans les catalogues. Nommé l’année suivante bibliothécaire de la ville de Troyes, Auguste Harmand pilla à sa guise, pendant trente ans, l’établissement confié à ses soins en effaçant au fur et à mesure la mention des livres dérobés dans les fichiers.

Ces anecdotes et beaucoup d’autres sont fort spirituellement narrées par Albert Cim dans Amateurs et voleurs de livres. Ce petit livre est un régal, aussi délectable que les écrits sur la bibliomanie de Nodier et d’Asselineau, ou que les souvenirs de Monselet. Ajoutons que l’objet est beau, car Ides et Calendes est un éditeur aussi soigneux que Plein Chant ou le Lérot : papier de bonne qualité, cahiers cousus et non massicotés. Posologie : quelques pages à couper et à lire avant de s’endormir.

Albert CIM, Amateurs et voleurs de livres [1903]. Ides et Calendes, 1998,145 p.

Romancier et auteur pour la jeunesse, bibliothécaire au sous-secrétariat d’État des Postes et des Télégraphes, Albert Cimochowski, dit Albert Cim (1845-1924), se signala par de nombreux articles de philologie, de critique et de bibliographie. Il participa également à la rédaction du Littré. Amateurs et voleurs de livres est le seul de ses livres couramment disponible. Il en a écrit plusieurs autres de même farine, dont certains sont consultables en ligne sur Gallica.net : Une bibliothèque : l’art d’acheter les livres, de les classer, de les conserver et de s’en servir (1902), le Dîner des gens de lettres : souvenirs littéraires (1903), le Livre : historique, fabrication, achat, classement, usage et entretien (5 volumes, 1905-1908), Bureaux et bureaucrates, mémoires d’un employé des PTT (1910), Mystificateurs et mystifiés célèbres (1913), Récréations littéraires : Curiosités et singularités, bévues et lapsus, etc. (1920), Petit Manuel de l’amateur de livres (1923).




Plus d’un livre dans son sac

L’amateur de livres rares est un bibliophile ; le collectionneur de signets, un chartasignopaginophile. Émile Van Balberghe est – accrochez-vous – un biblio-saccuplstikophile. Comprenez par là que ce libraire-éditeur érudit collectionne les sacs en plastique de libraires, de maisons d’édition, de manifestations littéraires…, témoins modestes mais riches d’enseignements de la vie du livre.

Une partie de cette collection sera présentée du 12 octobre au 23 novembre à la Maison du Livre (24-28, rue de Rome, 1060 Bruxelles). L’exposition retracera aussi les diverses facettes d’un amoureux du livre au parcours atypique. Lors du vernissage, le 11 octobre à 18 h 30, Émile Van Balberghe s’entretiendra avec Patrick Moens, lui-même ancien libraire et collectionneur, sur les raisons de ce grand rassemblement de sacs et autres ephemera littéraires (marque-pages, ex-libris, faux livres en plâtre, affichettes, etc.), ainsi que sur les origines et les fruits de ses passions éditoriales et bibliophiliques.