Paludes

« On peut dire de Paludes que c’est au roman ce que le Critique de Sheridan est au théâtre, une analyse spirituelle et une dénonciation satirique de toute entreprise littéraire sans dessein, de toute attitude littéraire dérisoire », écrit Larbaud dans Lettres de Paris. On peut même aller plus loin : Paludes sape toute entreprise littéraire, quelle qu’elle soit, y compris bien entendu… Paludes lui-même. En s’y prenant de manière telle qu’on peut lire et relire ce réjouissant petit livre avec le même plaisir et le sentiment qu’au bout du compte, son « sens ultime » nous glisse entre les doigts — soit que son secret toujours se dérobe en paraissant s’offrir, soit que le secret en question, « c’est qu’il n’y en a pas ». Gide nous a à tous les coups.


Vendredi 7 avril 2006 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Air de Paris

Écrivain et lecteur cosmopolite par excellence, Valery Larbaud a joué un rôle essentiel d’intercesseur dans la vie littéraire de son temps. Grand découvreur et porte-parole des lettres étrangères en France, il a contribué à y faire connaître, par son activisme inlassable, ses essais, ses traductions, ses préfaces, ses conférences ou son rôle officieux de conseiller auprès des éditeurs et des directeurs de revue, Joyce, Borges, Unamuno, Italo Svevo, Eugenio Montale, Samuel Butler, Ramón Gomez de la Serna, Faulkner, Walt Whitman, William Carlos Williams, Logan Pearsall Smith, Alfonso Reyes, Ricardo Guirades et l’on en passe, excusez du peu. En sens inverse, par ses articles écrits directement en anglais pour le New Weekly de Londres ou en espagnol pour la Nación de Buenos Aires, il s’est employé à présenter aux lecteurs étrangers la littérature française classique et contemporaine. Le plurilinguisme de Larbaud et sa connaissance approfondie des autres cultures en faisaient un correspondant idéal, capable d’effectuer, en comparatiste né, des rapprochements avec le propre environnement culturel de son lectorat pour mieux lui faire appréhender une œuvre étrangère. Un « passeur », dirait-on aujourd’hui.

Lettres de Paris réunit ses chroniques parues dans le New Weekly de mars à août 1914. Il y est bien entendu question de littérature (Barrès et Péguy discutés, Anatole France éreinté, Gide loué pour les Caves du Vatican, Fargue, Perse), mais aussi de la vie des revues, de musique (Ravel, les premières auditions du Sacre du printemps de Stravinsky), de théâtre (Copeau, Claudel), de peinture (Monet, Carrière, Valloton et les post-impressionnistes), et encore de mode ou d’une exposition d’insectes et d’oiseaux tropicaux au Jardin d’acclimatation. En somme, c’est toute la vie culturelle de l’immédiat avant-guerre, avec ses querelles et ses débats, qui revit en ces pages dans ses aspects durables ou périssables, rapportée par un témoin de premier plan ; témoin curieux de tout, réceptif et ouvert, mais néanmoins engagé dans la défense éclairée de l’esprit rive gauche, par opposition au vieil esprit rive droite — dichotomie qui vient tout juste d’apparaître dans le débat culturel et que Larbaud s’empresse d’expliquer à ses lecteurs anglais. À lire ces billets, on respire l’air de Paris, millésime 1914.

Valery LARBAUD, Lettres de Paris. Traduit de l’anglais par Jean-Louis Chevalier. Gallimard, 2001.


Mardi 4 avril 2006 | Au fil des pages | Aucun commentaire