Pendant ce temps, à l’Académie française

— Comme tu es appelé à me succéder […], je t’enseignerai les noms et les œuvres de tous les académiciens dont les bustes ornent nos couloirs, nos greniers et nos caves.
— Il y en a beaucoup ?
— Énormément.
— Énormément… Et tu te les rappelles tous ?
— Ah, dieu merci, car ils sont immortels et personne ne sait plus rien d’eux.

— Une fois de plus, monsieur Laurel, je vous le répète, je ne lis jamais aucun journal.
— C’est vrai, monsieur le duc. Mais il me semble toujours que pour savoir ce qui se passe…
— Monsieur Laurel, il ne se passe rien ! Il ne s’est rien passé en France depuis cent sept ans.

— Et vous, vous avez l’air préoccupé, tout de même. Qu’est-ce qu’il y a ?
— Un télégramme que je viens de recevoir de Paris. Notre collègue Jarlet-Brézin est au plus mal.
— Ah oui ?
— Ah, il va mourir… Enfin, sauf complication.

 

L’Habit vert, de Roger Richebé (France, 1937), d’après la pièce de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet.




Le cabinet imaginaire de Thomas Browne

C’est d’abord que les livres de Browne, par leur démarche, leurs thèmes, leur construction même se présentent comme des objets de curiosité : rapprochant les extrêmes, admirables de paradoxe, extrêmement construits, et « artificiels », sous leur apparent naturel. C’est qu’ils traitent, la plupart du temps, pour citer une formule d’un autre esprit proche de Browne, Sir John Harrington, de « signatures de très grandes idées dans de très petites choses », qu’ils lisent le sublime dans le trivial, le métaphysique dans l’ordinaire, et recherchent, comme le collectionneur de curiosités, échos et correspondances entre les réalités d’apparence les plus éloignées.
[…]
On trouve enfin chez Browne une fascination avouée pour les hybrides : fossiles, qui ne sont ni minéraux ni végétaux, mais l’un et l’autre à la fois, ou animaux croisés, comme le camelopard (c’est-à-dire la girafe) ou l’armadillo (le tatou) ; il n’est pas jusqu’à sa langue – mixte de latin et de saxon – et sa méthode qui n’appartiennent à ce registre. Comme ses contemporains – Aubrey et Evelyn – Browne était adepte d’une culture du calepin (ou du commonplace book), recueil de notes, citations, impressions de lecture qui servent de fonds à ses écrits et leur donnent leur étrange qualité paratactique, les paragraphes et les idées s’y juxtaposant, comme les objets dans un cabinet.
[…]
Trop subtil pour s’aveugler lui-même, Browne revint obliquement, après avoir consacré une somme aux formes et emprises de la croyance fascinante et brouillonne (Pseudodoxia Emidemica, or Vulgar Errors, 1646), sur son thème de prédilection dans un court traité, aussi léger qu’est capillairement érudite son histoire des illusions humaines.
Museaum Clausum sive Bibliotheca Abscondita (publié à titre posthume en 1684) s’inspire du catalogue des livres de la Bibliothèque de Saint-Victor, morceau de bravoure du Livre II de Pantagruel de Rabelais ; et se propose de décrire le contenu d’un cabinet de curiosités qui n’aurait de réalité qu’idéale – ou parodique. « L’auteur s’y divertit, écrit Johnson, à imaginer l’existence de livres et de curiosités sans aucune réalité, ou que l’on a irrémédiablement perdus. » Tour de force sur un tour de force, le pseudo-catalogue de Browne égrène à plaisir les « figures imposées » de la culture de la curiosité – provenances fabuleuses, références occultes, hapax techniques ou rhétoriques, formes diverses de monstruosités ou d’exceptions – comme pour développer tout le spectre de cette passion, et s’en moquer du même mouvement, selon sa stratégie naturelle.

Patrick Mauriès, le Miroir des vanités.
Éditions du Regard, 2012.

[Le Miroir des vanités est une monographie sur le graveur Erik Desmazières, occasion pour Patrick Mauriès de nouvelles variations sur quelques-uns de ses motifs de prédilection : l’esprit de collection, les cabinets de curiosités, Thomas Browne, les essayistes anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. On prend toujours plaisir à ces rhapsodies.]


Attribué à Joan Carlile, Dorothy [née Mileham] et Thomas Browne (v. 1641-1650).
Londres, National Portrait Gallery.




Insularisme

L’insularisme anglais résumé en une réplique.



Those Magnificent Men in their Flying Machines (Ken Annakin, 1965)




Merveilleux objets inutiles

Mesdames et messieurs, le chauffe-cuiller. Pour réchauffer légèrement les cuillers à dessert lorsque vous servez une glace à la fin du repas.




Bargain Hunt (BBC1, 13 avril 2020)




La clé du succès

Ce n’était pas chose facile d’arriver à faire son chemin dans le monde des lettres, et je craignais pour ma part de ne savoir écrire ni assez bien ni assez mal pour rencontrer le succès.

Ernest William Hornung, Un cambrioleur amateur
(The Amateur Cracksman, 1899).
Traduction d’Henry Evie revue par J.-F. Amsel.
Omnibus, 2007.




La robe éphémère

Dans son désir de se présenter comme le couturier de la jeunesse et de la fraîcheur, [Jacques Fath] fila tout au long de sa carrière la métaphore des « jeunes filles en fleur », plaçant au cœur de sa création la thématique florale (il présenta en 1950 une collection « Lys » et donna à celle de 1953 des tonalités végétales). Comme il laissait toute latitude à François Lesage, ce dernier imagina pour lui aussi bien des brins de fougère en perles de verre teintées que des feuillages de crin brodés sur un fond de tulle. Il alla même, rapporte White, jusqu’à concevoir pour l’un des bals somptueux où Fath brillait avec sa femme Geneviève une robe éphémère : composée de brin d’asparagus, relevés d’éclats de strass entre deux épaisseurs de tulle, elle devait être vaporisée toutes les deux heures de façon à conserver sa fraîcheur au végétal.

Patrick Mauriès, Lesage brodeur, Thames & Hudson, 2020.


Lundi 6 avril 2020 | Grappilles | Aucun commentaire


Vous n’y échapperez pas

Je trouve étrange l’idée présentement répandue qui voudrait qu’en période de claustration on lise ou relise la Peste ou l’Amour aux temps du choléra, qu’on regarde Panic Room ou des films de prison. Il me semble qu’une réaction saine est plutôt de se dire : « N’importe quoi mais pas ça. »

Mais est-ce seulement possible ? Ce matin, je termine la lecture du livre d’Adrian Tinniswood sur la vie quotidienne dans les maisons de campagne anglaises entre les deux guerres. Page 366, on apprend que le 16 juin 1939,

The government distributed 15 millions leaflets to households all over the country – “Your Gas Mask: How to Keep and Use it.”

Gasp. Vite, j’ouvre un roman policier d’Elizabeth George. Premières phrases :

Ce fut le manque de savoir-vivre porté à son comble. Les yeux dans ceux de sa voisine, il lui lâcha un éternuement gras et sonore en pleine figure.

Je jure que je n’invente rien.


Samedi 4 avril 2020 | Grappilles | 1 commentaire