24 mars
Liège
— Sur un strapontin du 4, une dame en veste et bottes de cuir — genre Fifi Brindacier à cinquante ans — lit une prière dans son missel : « Le Seigneur est mon berger… » Elle papote ensuite avec une copine montée à l’arrêt suivant.
Dans le Thalys Liège-Paris
— Une Allemande referme Quand la Chine s’éveillera d’Alain Peyrefitte dans une édition Club à l’improbable jaquette orange et citron.
— Une dame cherchant sa place tient en main Firmin : autobiographie d’un grignoteur de livres de Sam Savage.
— Deux lectrices de guides touristiques.
— Une trentenaire ahurie et bouche bée écarquille les yeux sur Practical Psychic Self-Defense. Elle a l’air d’en avoir bien besoin.
— Derrière elle, une femme en pull rayé se délecte d’un album de Spirou et Fantasio, période Franquin au vu des planches.
— Une autre dame lit Métronome de Lorant Deutsch.
— Sur la tablette d’une jeune femme, Revolutionary Road de Richard Yates.
— Un élégant monsieur aux cheveux blancs lit le Passage de l’Aulne de Philippe Le Guillou.
— Une autre femme cherche le Bonheur, désespérément dans la prose d’André Comte-Sponville.
— À l’arrivée, une petite dame franchit l’allée en tenant en main Alain Decaux raconte.
Paris
— Ligne 7, direction Mairie d’Ivry. La lectrice d’un 10/18 quitte son strapontin pour descendre à Censier-Daubenton. Une jeune blonde est plongée dans une édition de poche très fatiguée de Midnight in the Garden of Good and Evil de John Berendt.
— Sur un banc public de la rue des Gobelins, près de la place d’Italie, un jeune dandy de notre temps (pose nonchalante, blouson blanc, lunettes fumées et barbe de trois jours) lit le Manuel du guerrier de la lumière de Paulo Coelho.
— Métro Place d’Italie, direction Étoile. Une jeune femme assise lit Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi de Mathias Malzieu. Debout un peu plus loin, une femme tient en main trois 10/18 attachés par un élastique. Elle parcourt la quatrième de couverture du volume du dessus. C’est un roman de Haruki Murakami.
De la rame qui s’arrête à quai, descend une jeune brune parlant à son téléphone portable tout en arborant l’Effort pour rendre l’autre fou de Harold Searles. C’est peut-être une démonstration en acte.
— Métro Pasteur, direction Mairie d’Issy. Une jeune femme se tenant dangereusement au bord du quai lit Monnayé, un volume des Annales du disque-monde de Terry Pratchett. Passe une petite blonde tenant un gros Ken Follett, les Piliers de la Terre.
— Dans la rame, direction Mairie d’Issy, un grand quadra tout frisé, tout en bleu, s’initie avec William Buhlman à The Secret of the Soul: Using Out-Of-Body Experiences to Understand Our True Nature.
— Métro Porte de Versailles. Il faut intenter un procès au coiffeur de la jeune femme qui lit l’Attrape-cœurs de Salinger.
— Dans la rame qui roule en direction de Porte de la Chapelle, deux lectrices en vis-à-vis. La première est si absorbée par la biographie de Cléopâtre qu’elle manque de rater sa station. La deuxième lit un pavé non identifié.
— Métro Pasteur. Tout au bord du quai (encore une), une brune menue chaussée de bottes en daim sur des collants, jupe courte et bague au pouce. Elle lit un polar d’Arnaldur Indridason. De l’escalier surgit une femme altière tenant en main une pièce de Brecht publiée chez L’Arche.
— Dans le wagon, direction Nation, une dame rousse tente de lire La fin est mon commencement de Tiziano Terzani en pestant contre les tressautements de la rame qui la projettent sur ses voisins. Assise un peu plus loin, une ample blonde aux bijoux clinquants, au maquillage outré, ouvre Je le ferai pour toi de Thierry Cohen. Face à elle, une brune plongée dans un roman paru chez Actes Sud. Deux autres lectrices et un lecteur dans le wagon bondé.