Un festin de Caradec
La Quinzaine littéraire nous apprend, sous la plume de l’excellent Jean-Paul Goujon1, la parution d’un gros recueil d’articles de François Caradec, que complètent des entretiens. Près de mille pages où se déploient l’éventail des curiosités d’un insatiable lecteur à l’érudition aussi précise que légère : les figures littéraires hors normes, le dessin d’humour et la bande dessinée, les farces et les mystifications littéraires, le music-hall et le café-concert, la langue argotique et populaire, sans oublier le monde du livre, des imprimeurs aux typographes et des éditeurs aux libraires (lui-même avait débuté comme ouvrier typographe). C’est un sacré défilé : Allais, Cami, Sade, Lautréamont, Jarry, Roussel, Willy, Paul Masson, Georges Auriol, Léo Malet, Leiris et Queneau, André Blavier et Boris Vian, Töpffer, Christophe, Descloseaux et Forest, Pauvert, Losfeld et Robert Carlier, l’Oulipo et le Collège de ’Pataphysique. Derrière la variété des sujets, « une grande unité de vision et de goûts, aiguillonnée par une curiosité incessante », écrit justement Goujon. De quoi enchanter les longues soirées d’hiver.
François CARADEC, Entre miens, Flammarion, 932 p.
1. À l’instar de Caradec à qui l’on doit tant de travaux pionniers, Goujon a signé de passionnantes biographies de Léon-Paul Fargue, Jean de Tinan et Pierre Louÿs. De ce dernier dont il est un des plus fins connaisseurs, il a édité nombre d’écrits inédits et de correspondances (avec son frère Georges, Tinan, Hérédia, Marie de Régnier), en plus de réunir l’édition la plus complète de ses œuvres érotiques. Il est aussi l’auteur d’une anthologie de la poésie érotique française.
Trace de Paulhan
Rue des Arènes, à l’heure des fantômes
(photos garanties sans filtre)
Visages de l’ombre
Plus vif que le plaisir de recevoir par la poste un livre qu’on attendait, il y a celui d’en recevoir un qu’on n’attendait pas. C’est ainsi qu’est arrivé inopinément le nouveau numéro du Visage vert — joie, bonheur et félicité. Au sommaire : E.F. Benson, John Buchan, Paul Busson, Jean Des Roches, Paul Frank, Judith Gautier, Rhys Hughes, Cristián Vila Riquelme, Jessica Amanda Salmonson et Romain Verger — soit, comme toujours, des auteurs d’hier et d’aujourd’hui, des qu’on a lus, des qu’on ne connaît que de nom, et d’autres dont on ne soupçonnait même pas l’existence — et des titres qui font rêver : « la Fleur-serpent », « la Corne d’épouvante », « la Pierre qui fume », « la Femme qui avait épousé un phoque ». Avec, pour fil rouge, les présences cachées au sein de la nature : monstres marins, créatures préhumaines, végétaux assoiffés de vengeance, esprits menaçants des forêts, des lacs et des montagnes.
Ce sera mon prochain festin, dès que j’aurai fini les lectures en cours, le Cardinal Napellus de Gustav Meyrinck (FMR, « La Bibliothèque de Babel »), lequel me séduit bien davantage dans le format condensé de la nouvelle que dans ses romans proliférants ; et puis l’Angoisse de la première phrase de Bernard Quiriny (Phébus), le premier et peut-être le meilleur livre de son auteur, en tout cas mon préféré tant qu’à présent : comme dans les Contes carnivores qui ont suivi, on oscille entre Borges et Marcel Aymé, on croise à tous les coins de rue l’ubiquiste et protéiforme Pierre Gould, Bartleby littéraire qui est un peu le Pierre Ménard de Quiriny, et il y a une nouvelle en particulier, « la Ville à l’infini », que je suis atrocement jaloux de n’avoir pas écrite à la place de son auteur.
Mots croisés à difficulté croissante
Toutes ces petites choses qu’on apprend en lisant des polars.
Quand il eut terminé de manger, il passa aux toilettes et, en ressortant, il pensa enfin à s’acheter le journal. USA Today coûtait soixante-quinze cents, il introduisit trois quarters mais il remarqua à ce moment-là que le distributeur voisin proposait le New York Times du jour. Il appuya sur le bouton « remboursement », récupéra ses pièces, en ajouta une quatrième et acheta le Times. Comme il regagnait sa voiture, il songeait déjà à la manière dont il attaquerait le journal. D’abord les actualités locales et nationales, ensuite le cahier « Sport » et enfin les mots croisés. Quel jour était-on, au fait ? Jeudi ? La difficulté de la grille augmentait de jour en jour, du lundi qui était à la portée d’un gamin de dix ans assez doué au samedi qui donnait souvent à Keller l’impression d’être légèrement retardé. Celle du jeudi était juste comme il faut. Il arrivait d’habitude à la terminer, mais ça lui demandait de la réflexion.
Il s’installa au volant, se mit à l’aise et entama sa lecture. Il n’arriva jamais aux mots croisés.
Lawrence Block, Keller en cavale.
Traduction de Frédéric Grellier, Seuil, 2010.
Chambres
Retour à Forest, octobre 2010.