La poésie ce matin (20)

GÎTE ET COUVERT

Dis, la blessure,
tu ouvres ?
Tu verras
c’est moi avec mon visage
de jamais
mon visage de
plus-que-moi-même
celui dont je te parlais au téléphone
en regardant le pigeon saigner
Dis, il est bien à nous
ce sang, non ?
Tu m’avais dit d’y goûter
que ce n’était pas défendu
et les touches d’ivoire volées par ton père
vibraient en ton cœur
à chacun de mes coups de dents
l’appétit, cet appétit-là, celui qui se cache au fond du ventre
celui qui fait pleurer les gitans
mais qui évite avec dédain
les enterrements
cet appétit
de lumière en plein avril
c’est l’éblouissement des grands dérapages
l’aveuglement meurtrier
qui cherche à venir brûler la bouche
à même la langue

je suis triste
mais ouvert
à la pluie
chair contre chair
le mot nuit,
il ne peut que nuire,
je n’arrive plus qu’à fuir
Dis, tu ouvres ?
le ciel se gonfle
et il attend.

Benoît Chaput, les Jours sans tain.
L’Oie de Cravan, 2014.


Jeudi 15 janvier 2015 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


Cocteau en hiver

Poème exhumé par L.D., épris comme moi de climats froids, à qui je disais mon émotion d’avoir retrouvé, après douze ans d’absence, l’hiver montréalais, et combien ce séjour avait réveillé quantité de sensations profondément enfouies dans ma mémoire. Notamment la manière dont une température de – 30° modifie les propriétés du son, sa texture et sa propagation. Certains vers ont le pouvoir de condenser, dans le raccourci fulgurant d’une image, une vérité intensément ressentie. « La neige est un microphone merveilleux » : voilà, c’est exactement ça.

Cette nuit chaos d’immeubles
n’importe où — les steamers
dans la banquise — c’est vide
comme un décor de Molière

La lune aligne ses pingouins
chloroforme du clair de lune
chaque maison est un vrai
colombarium de travers

Le froid prend tout à coup la forme d’un kiosque
Carafe frappée ô ma tête
ce vent attise les étoiles
et bloque les névralgies

Mes pas marchent dans tous les immeubles à droite
On doit entendre
Mes pas
Dans la lune

La neige est un microphone merveilleux, j’écoute
Une dame qui cause
À Moscou

Je suis le seul survivant
de cette épidémie de lune

Le boulevard est beau comme la voie lactée.

Cahiers Jean Cocteau no 1, Gallimard, 1969.


Dimanche 11 janvier 2015 | Grappilles | Aucun commentaire


Épiphanie

Parution de ma nouvelle Positions dans l’espace dans la revue new-yorkaise Epiphany, où se côtoient nouvelles, poésie, essais, dessins et photographies. Merci à l’éditrice Odette Heideman, aussi attentive qu’efficace, et à mon fidèle traducteur Edward Gauvin.


Vendredi 2 janvier 2015 | Actuelles | Aucun commentaire