Admiral’s House (ci-dessous), charmante maison de style Mary Poppins, présente cette particularité qu’aucun amiral n’y a jamais vécu.
Admiral’s House (ci-dessous), charmante maison de style Mary Poppins, présente cette particularité qu’aucun amiral n’y a jamais vécu.
Chez un brocanteur de Hampstead, on a craqué pour ces deux gravures dont les sujets et la composition frontale rappellent les natures mortes de Morandi, dans un style plus fantomatique. Elles sont signées Paul Ritchie mais ne sont pas datées. On a retrouvé sur le net la trace de cet artiste écossais actif depuis 1977 (sa date de naissance est un secret bien gardé) et pourvu d’une certaine renommée : nombreuses expositions au Royaume-Uni, plusieurs œuvres figurant dans les collections publiques (parmi lesquelles celles de la Scottish National Gallery of Modern Art et du Victoria and Albert Museum). Mais il faut bien avouer que ses toiles – paysages et marines –, visibles sur son site, n’ont pas la magie de ses gravures.
Reprise d’Anyone Can Whistle de Stephen Sondheim à l’Union Theatre, où l’on avait vu l’an dernier une production très réussie de Road Show. Dans l’intervalle, ce sympathique bistro-théâtre de poche a déménagé sur le trottoir d’en face, dans des locaux plus spacieux mais fleurant toujours bon l’entrepôt réaménagé.
Anyone Can Whistle (1964) est le deuxième show dont Sondheim écrivit paroles et musique. Ce fut aussi son premier bide retentissant, à la fois public et critique : le spectacle quitta l’affiche après neuf représentations à Broadway. L’œuvre a été réhabilitée depuis et a connu quelques reprises à partir du milieu des années 1990. Bien. J’avoue n’avoir pas été du tout convaincu, et la faute en revient avant tout au livret d’Arthur Laurents. Cela se veut une farce volontairement absurde et sans queue ni tête sur l’avidité et la corruption des notables. Dans une petite ville américaine au bord de la banqueroute, la mairesse et ses séides (le juge, le chef de la police) inventent un pseudo « miracle » pour attirer les foules de pèlerins, relancer l’activité locale et s’en mettre plein les poches au passage. Parallèlement, les pensionnaires d’un asile d’aliénés (seule institution du cru encore en état de marche) s’égaillent dans la nature et se mêlent à la population, ce qui ajoute à la folie ambiante – mais qui est vraiment fou et qui est sain d’esprit ? Alerte, allégorie sociale. Dès la première scène, on est embarrassé par le ton laborieux et forcé de la satire, la platitude convenue du propos. Ce devrait être une joyeuse pagaille orchestrée crescendo à la Preston Sturges mais la machine tourne à vide. L’énergie de la mise en scène et de l’interprétation n’en paraît que plus artificielle, au bord parfois de l’hystérie. En un mot, on s’ennuie ferme. Alors, on se concentre sur le travail millimétré du trio de musiciens et des choristes, au service d’une partition exigeant comme toujours la plus grande précision. On observe un Sondheim encore jeune tester divers procédés qui deviendront sa marque de fabrique : un grand numéro de parler-chanter de près d’un quart d’heure, d’une virtuosité étourdissante (intitulé par antiphrase Simple), le recours au collage et au pastiche musical. Toutes choses qui trouveront leur plein emploi quelques années plus tard dans son premier chef-d’œuvre, Company (1970), sur un livret exceptionnel, celui-là, de George Furth.
En 1988, Normand Lalonde consacrait un mémoire de maîtrise aux Bibliothèques de Bouvard et Pécuchet. Un ami me recommanda la lecture de ce travail vif, plein d’aperçus stimulants (il y était question notamment de l’imaginaire des bibliothèques dans la littérature française du XIXe siècle, avec des excursus sur les collections de livres de Jean des Esseintes et du capitaine Nemo) ; essai si peu académique que son directeur d’études, m’a-t-on dit, dut ferrailler pour le faire accepter par le jury, et pourtant voilà un mémoire qui apportait du neuf tout en se signalant par ses qualités d’écriture. Les deux clercs de Flaubert furent derechef le sujet de la thèse de doctorat de Lalonde, Flaubert et la faute du temps. Éternité, évolution et origine dans Bouvard et Pécuchet (celle-là, je ne l’ai pas lue). Par la suite, il devint professeur de littérature et de cinéma au Collège de Maisonneuve. En 2007, il fut diagnostiqué d’une tumeur au cerveau. Il est mort le 1er juillet 2012, à l’âge de cinquante-deux ans.
Nous avions plusieurs relations communes, j’aurais aimé le rencontrer, les hasards de l’existence en ont décidé autrement. La lecture d’Autoportrait aux yeux crevés ne fait qu’aviver ce regret. Ce précieux petit livre réunit un choix de ses aphorismes, écrits durant les cinq dernières années de sa vie. La maladie, l’hôpital, la certitude de la mort proche sont évidemment très présents en ces pages, mais ils sont traités avec un humour noir, un détachement stoïque qui laissent pantois. Le détachement de soi, la juste distance me semblent du reste la qualité principale du regard de Normand Lalonde, qu’il considère le monde et ses petites vanités ou qu’il s’observe lui-même, sujet vivant, sujet pensant, sujet écrivant. On ne s’étonnera pas non plus que cet amoureux de Bouvard et Pécuchet soit des plus attentifs à la part de bêtise qui sommeille en chacun, aux lieux communs, aux idées reçues, aux expressions toutes faites, qu’il sait à merveille détourner, à peine, juste ce qu’il faut pour vous obliger à vous arrêter sur le sens des mots. Lalonde est un maître de la déstabilisation douce.
L’aphorisme est un genre qui ne pardonne pas. Trop souvent triomphent le jeu de mots facile, le moralisme plat et l’astuce de comptoir, qui ferment le sens ou le rabattent sur le trivial au lieu de l’ouvrir sur l’imaginaire. S’il faut pinailler, je n’ai relevé dans ces soixante pages que deux jeux de mots un peu convenus, comme on en a tous fait à quinze ans. Partout ailleurs, le paradoxe, l’humour, la faculté d’étonnement rendent le langage et la pensée à leur pouvoir poétique d’ébranlement. Le trait d’esprit porte pour une fois bien son nom, petite flèche affutée d’un esprit rare et fin qui avait l’élégance du cœur.
Normand Lalonde, Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses. Postface émue de Manon Riopel et Jean-François Vallée, dédiée au souvenir de leur ami. L’Oie de Cravan, 2016, 60 pages.