Simulacre

De la goujaterie médiatique. Rien ne remplace, dit-on, l’expérience du concert. Alors, foin de musique en conserve, bougeons nos fesses et allons voir le sextet de Machin au festival de Brol (pour lequel je me refuse à faire la moindre réclame même indirecte). Et là, juste avant l’entrée des musiciens en scène, un monsieur pincé de l’équipe du festival, aux allures de quinca branché travaillant dans la pub, vient nous informer que le concert sera filmé pour la télé et qu’en conséquence :
- le public est prié de remplir les places vacantes au devant du parterre pour que la salle n’ait pas l’air clairsemée, ça ferait mauvaise impression.
- les gens qui veulent quitter la salle (plusieurs concerts ont lieu simultanément et pas mal de gens « zappent » d’un concert à l’autre, c’est d’ailleurs désagréable) sont priés de ne pas le faire pendant les applaudissements parce qu’à ce moment-là les caméras seront tournées vers la salle et que ça ferait désordre aussi (genre : ce concert est nul, tout le monde se barre). Si vous voulez sortir, faites-le pendant les morceaux (là, ce sont les musiciens que ça risque de perturber, mais quelle importance ?)
Tout cela énoncé sans amabilité, sur un ton agacé d’une morgue invraisemblable. On croit rêver. En somme j’ai payé ma place pour faire de la figuration intelligente à la télé. Public, tu n’es pour ces gens-là que du bétail (heureusement, ledit bétail n’en fera qu’à sa tête). Et les musiciens sont logés à la même enseigne.
Durant toute la durée du concert, une caméra-robot posée sur rails se promène dans la fosse en balayant la scène d’un mouvement pendulaire hypnotisant. Une autre caméra montée sur grue plane au-dessus de nos têtes comme un oiseau de proie menaçant. Ambiance très Big Brother. Et quand le pianiste entame son solo, un caméraman se plante devant pour cadrer ses mains et bien nous boucher la vue. On aura quand même le plaisir de voir Machin s’énerver sur le deuxième caméraman accroupi dans le chemin, qui l’empêchait de revenir prendre à temps son solo au centre de la scène. N’empêche que ce déploiement technologique aura volé, par son parasitisme intempestif, la vedette de la soirée, et avec un côté : « ôtez-vous de là que je m’y mette, foutus musicos qui m’empêchez de faire mon travail. » Si bien que je n’aurai pas eu l’impression d’assister en direct à un concert, mais d’être déjà en différé, dans la diffusion future de la soirée à la télé - en somme, de participer à un simulacre. Un « live » déréalisé en temps réel, il fallait le faire. Eh bien merci beaucoup. La prochaine fois je resterai chez moi à écouter de la musique en conserve, ça nous fera gagner du temps.


Dimanche 6 mai 2007 | Dans les oneilles |

5 commentaires
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On est allé voir Dave Douglas?

Commentaire par Fausto 05.06.07 @ 10:01

Vous y fûtes donc aussi ?

Commentaire par th 05.07.07 @ 8:18

“pas mal de gens « zappent » d’un concert à l’autre, c’est d’ailleurs désagréable” : héhéhé, nous sommes deux à trouver l’ambiance des concerts souvent pénible : depuis quelques années -et le phénomène ne cesse de s’amplifier- une grande partie du public n’écoute plus la musique et ne regarde plus les artistes. Ils sont tout simplement là, debout, ils fument et ils papotent par grappes de 4 ou 5 dégingandés. Ils circulent de groupe en groupe et passent devant vous une bonne dizaine de fois sur les deux heures du concert. Quand ils sont à côté de vous, au moment des chansons ‘calmes’, vous ne comprenez plus rien de ce que chante l’artiste pour lequel vous vousêtes déplacé et pour lequel vous avez payé. Pour la plupart, ils ont entre 16 et 20 ans, n’ont sans doute pas payé leur place et ont été conduits là par papa-maman. Même s’ils n’ont pas l’air méchant, certains soirs, des baffes se perdent…

Commentaire par nescio 05.08.07 @ 8:25

Non, th, je comptais y aller mais je n’ai pas pu.
Notez bien que le pire dans les concerts, c’est souvent ceux où le bar est dans la salle: il fait systématiquement plus de bruit que les gars sur scène…

Commentaire par Fausto 05.09.07 @ 6:36

En l’occurrence les 16-20 ans brillaient par leur absence et le phénomène était largement transgénérationnel. Je ne sais pas s’il faut y avoir un trait d’époque (culture du zapping, tout ça ; après tout, à l’opéra au XIXe siècle, le public de la haute entrait et sortait, allait et venait d’une loge à l’autre en papotant durant la représentation, et les vrais mélomanes devaient râler en maugréant déjà que « c’est plus comme avant ») ou plus simplement un effet pervers de ces billets forfaits donnant accès à plusieurs concerts simultanés, qui encouragent le butinage, aiguillonné par la pensée - généralement trompeuse - que « c’est peut-être mieux dans la salle d’à côté ; oui, je suis sûrement en train de rater quelque chose ».

Personnellement, la présence d’un bar me dérange moins - dans les clubs de jazz à tout le moins. Généralement, les gens ont la politesse de chuchoter leur commande et le tintement des verres fait partie de l’ambiance - il est en tout cas facile de s’en abstraire.

Sinon, Fausto, vous n’avez rien manqué d’impérissable. Le Keystone Sextet, que je découvrais, n’est pas, et de loin, le groupe le plus pilpatant qu’ait animé Douglas.

Commentaire par th 05.09.07 @ 11:01



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