« Ma biographie, c’est mon catalogue », aimait-il à dire [1]. Lecteur vorace dès l’enfance, le contact quotidien des livres continuait à l’émouvoir. Il aimait le travail matériel de l’édition (choisir une illustration de couverture, rédiger une prière d’insérer) et prétendait, malgré ce qu’est devenu le marché du livre, continuer à faire le même métier que ses grands devanciers du XIXe siècle, Michel Lévy et Poulet-Malassis. Il n’avait jamais eu de comité de lecture. Avec Losfeld, Pauvert, Maspéro, Maurice Nadeau et Jérôme Lindon, Christian Bourgois aura été l’une des figures majeures de l’édition indépendante française de l’après-guerre. Et sa maison, l’une de celles dont le catalogue s’identifie si intimement au goût et à la personnalité d’un homme que sa mort nous touche comme la perte d’un proche à qui l’on doit tant de découvertes. Le goût de Bourgois était fait d’exigence et de curiosité, de fidélité à ses auteurs, à quoi s’ajoutait une élégance de grand seigneur. Le hasard des rencontres y avait aussi sa part comme dans toute vie d’éditeur, et il se reconnaissait volontiers dans le mot de Montecuculli, général vénitien du XVIe siècle: « Il faut toujours saisir une occasion par les cheveux, mais il ne faut jamais oublier qu’elle est chauve ». Burroughs, Lovecraft, Boris Vian, Arno Schmidt, la beat generation, Fante, Brautigan, Dorothy Parker, Jim Harrison, Gadda, Borges, Jünger, Gombrowicz, Savinio, Tabucchi, Pessoa, Rushdie, Montalbán, Vila-Matas, Toni Morrison, Lobo Antunes, Roberto Bolaño, Jean-Christophe Bailly… La liste serait sans fin (il faudrait y ajouter le catalogue de 10/18 sur lequel il veilla jusqu’en 1991, et je n’ai rien dit des essais) ; chacun y reconnaîtra les siens et la complètera à son gré.
1. Rencontre à la Maison de la Francité de Bruxelles, 1996.
4 commentaires
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J’emprunte la citation de Montecuculli.
Bourgois avait il y a peu eu les honneurs d’une expo-retrospective à Beaubourg.
É.
Commentaire par ÉLias_ 12.23.07 @ 6:15Oui. Elle était relativement modeste, simple installation de panneaux en accès libre depuis la mezzanine. Mais j’aime bien ce genre de voyage où l’on passe d’un auteur à l’autre, d’une couverture à l’autre, prenant ainsi les dimensions d’un travail d’éditeur qu’on appréciait parfois sans le savoir.
É.
Commentaire par ÉLias_ 12.25.07 @ 9:41
Une partie de tout ce que j’aime et ai aimé dans mes lectures est passée par Christian Bourgois ; je m’en aperçois en lisant son catalogue (sa biographie…).
Merci à ce grand bonhomme distingué.
Commentaire par espace-holbein 12.22.07 @ 10:16