Il y a comme ça des fins d’année qui ressemblent à des cimetières.
« Je suis assez doué pour la flânerie. »
- Oui, le monde extérieur existe pour moi. Et fortement. Et ce sentiment de très vigoureuse existence s’accompagne du sentiment du oui, plutôt que du non. Il est possible, d’ailleurs, que l’époque où j’ai écrit ait été de nature à souligner cette attitude. Entre 1939 et 1955, époque à laquelle j’ai publié le plus, la littérature était très marquée par une attitude négative, hostile même, vis-à-vis du monde extérieur: attitude que Sartre a fixée, dès ses débuts, dans les pages bien connues de la Nausée. J’étais très étonné, à l’époque, par ces romans peuplés de conversations de café, à tendance métaphysique.
J’ai dit tout à l’heure que je n’étais pas très intéressé par le roman psychologique. Je pense que les personnages de mes romans portent la marque de ce désintérêt. Mais en revanche, ils sont au monde, comme on dit, non sans pertinence ; ils n’ont pas rompu avec lui un lien pour moi vital, rupture qui donne au roman psychologique à la française ce côté « fleur coupée » que j’ai dénoncé autrefois.
Je suis frappé, bien souvent, par le peu de place que tient dans le roman français le monde extérieur, surtout celui qui n’est pas fait de main d’homme. Le monde de Balzac est un monde de maisons, de tanières. Quand la campagne trouve place dans notre littérature, c’est généralement avec une arrière-pensée de prédication du « retour à la terre », chez George Sand comme, sur un autre plan, dans les premiers romans de Giono. J’aime bien le mythe d’Antée, qui reprend des forces chaque fois qu’il retrouve le contact avec le sol. Ce qui ne signifie aucunement chez moi un penchant pour le roman bucolique. Je mets dans le mot de « contact » un sens qui n’a rien d’agricole.
Je n’y mets pas non plus la pure sensualité qui est celle de Gide dans les Nourritures terrestres. Je me suis senti en cela proche du surréalisme dès que je l’ai connu : pour Breton le surréel n’était pas une transcendance, il était immanent au réel. C’est une façon de voir qui m’est familière.
Julien Gracq, entretien avec Jean Roudaut,
Magazine littéraire n° 179, décembre 1981.
Repris dans Entretiens, José Corti, 2002.
Un commentaire
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Je suis frappée, bien souvent, par le peu de place que tient, dans le roman français, la disparition accélérée des paysages naturels. Nietzsche et Tchekhov ont écrit là-dessus, ont lancé leur chant d’amour et d’alarme. La littérature sera bientôt l’unique refuge d’un monde en voie de désintégration complète. Il faut lire Ivan Bounine, L’Amour de Mitia, pour imaginer la merveille du chant du rossignol, ou le réentendre, si on a eu cette chance au cours de nos vies marquées par la vidange du ciel (étoiles pâlies, oiseaux disparus). Le sentiment du “oui” plutôt que du “non”, dont parle Gracq, est intimement lié à l’enracinement dans le paysage et dans le silence.
Commentaire par Caroline Lamarche 01.03.08 @ 7:20