Ce qu’ils lisent

Dans le train Liège-Bruxelles
- Les premières, rapidement traversées, sont désertes. La seule lectrice du wagon est plongée dans la Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette de Stieg Larsson.
- En deuxième, au contraire, on s’écrase. Une fillette assise sur les genoux de sa mère lit un roman ouvert à plat sur la tablette. Au vu du format, c’est un Folio junior. Deux rangées plus loin, un quinquagénaire médite les Oraisons funèbres de Bossuet. Une ado a refermé Haut de gamme de Candace Bushnell pour bavarder avec sa mère.
- Face à moi, un couple d’Allemands. Elle lit un récit de voyage de Cees Nooteboom, Geflüster auf Seide gemalt, Reisen in Asien, dans une édition de poche ; et lui, Der Gotteswahn de Richard Dawkins dans une édition hardcover. À vue de nez, ils approchent de la soixantaine. Ils ont chacun leurs habitudes. Elle a entouré d’un élastique les pages déjà lues. Lui lit stylo en main, en annotant son livre de la plus étonnante manière. Non seulement il souligne des mots et coche de nombreux passages, mais il reporte quantité d’annotations sur les pages de garde et de titre, suivant un système aussi mystérieux que méthodique. Chacune de ces pages a été divisée par lui en deux colonnes, d’un trait vertical proprement tiré à la règle. Ses annotations s’y distribuent comme les pièces d’un puzzle qui se reconstituerait peu à peu, tantôt agrégées par petits paquets, et tantôt isolées au milieu d’une page blanche. Le second contreplat est entièrement recouvert de sa fine écriture, de même que les espaces vierges de certaines fins de chapitres (des résumés ?).
Fasciné par son manège, je passe une bonne partie du voyage à l’observer par-dessus mon propre livre (Le vingtième me fatigue, de Jacques Réda) en tentant de comprendre son système. Est-ce un glossaire qu’il établit, ou bien un index thématique ?
De temps à autre, ils se lisent l’un à l’autre une phrase qui les a frappés et parfois les fait rire, ou s’échangent leurs impressions de lecture. Elle lui caresse tendrement le dos sans quitter son livre, il pose la main sur son genou. Ils sont très émouvants.

- Nous arrivons à Bruxelles. Le train est si bondé que beaucoup de gens ont voyagé debout à l’entrée du wagon. Assise inconfortablement par terre, une étudiante lit l’Impressionnisme et la Musique. Lorsqu’en descendant je me penche discrètement (hum) pour déchiffrer le titre, elle ramène d’instinct son sac vers elle, croyant que j’allais le lui piquer. Pour un peu elle m’assommait avec.

Bruxelles
- Dans l’autobus 71 en direction de la Porte de Namur, une aspirante conductrice potasse l’indéboulonnable Bien conduire de A à Z de Daniel De Nève.
- Dans le métro, direction Delacroix, une dame entame le chapitre XVI de Souviens-toi de Mary Higgins Clark.
- Passe un vieux couple rue Fonsny, devant la gare du Midi. Monsieur tire la valise et porte un ample chapeau. Madame presse à deux mains sur son cœur le guide de Bruxelles de la collection Eyewitness Travel. Au même instant un clochard émerge de la bouche du métro, portant sous le bras un livre à couverture marron.
- Sur le quai n° 15, ce qui semble un bon gros thriller, De Bezoeker de Lee Child, enchante visiblement un homme à collier de barbe poivre et sel.

Dans le train Bruxelles-Liège
- Une bien jolie personne ouvre De Shaduw van de Wind de Carlos Ruiz Zafon.
- Derrière elle, une quinquagénaire lit Allô, Babou viens vite… On a besoin de toi ! de Janine Boissard.


Mardi 26 août 2008 | Ce qu'ils lisent |

6 commentaires
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Ah, th ! Je ne peux plus voir des gens lire dans le métro sans penser à votre rubrique. Et sans doute eux aussi la lisent, car ils essaient (souvent) de cacher le titre de leur ouvrage. Ou me jettent des regards suspicieux. Mais je n’ai pas encore reçu de coup de sac.

Commentaire par ASH / Visage vert 08.27.08 @ 4:10

Je crois aussi qu’ils commencent à se douter de quelque chose. Ils me regardent de plus en plus souvent d’un drôle d’air. On voit même revenir l’usage ancien qui consiste à protéger son livre d’une liseuse ou en le recouvrant de papier kraft. C’est de la triche !

Commentaire par th 08.27.08 @ 11:25

Tu as bien de la chance. Moi, je ne croise que des gens lisant Voici ou L’Usine Nouvelle.

Commentaire par PCM 08.28.08 @ 2:27

Bizarre autant qu’étrange, car selon ma modeste expérience, on croise pas mal de lecteurs & trices dans le métro parisien - bien plus en tout cas que dans celui de Bruxelles.

Commentaire par th 08.29.08 @ 9:09

Et moi je ne croise personne qui lit en marchant ou en faisant du vélo. C’est lamentable.

Commentaire par Morena 08.30.08 @ 10:47

Déménage à Bordeaux (capitale européenne de la lecture en 2013) !

Commentaire par th 08.30.08 @ 10:57



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