Ce qu’ils lisent

19 décembre
Liège
- Une lectrice dans le 4, c’est rare et ça se fête. Mais ce qu’elle lisait, nous ne le saurons jamais, car elle dérobe la couverture à nos regards et descend rue des Vennes en emportant son secret.
Dans le Thalys Liège-Paris
- Une Allemande préfère la musique de son baladeur mp3 à la lecture de The Revenge of Captain Paine d’Andrew Pepper.
- À quelques rangées de ma place, un exemplaire de Grundkurs Filmanalyse de Werner Faulstich est glissé dans le filet de l’appuie-tête. Sa propriétaire déplie des jambes interminables et se dirige vers la voiture bar. C’est une brune longiligne d’1,85 m vêtue d’un pull marin.
- Casque sur les oreilles, un barbu rondouillard, à chaque page un peu plus incliné vers l’avant, semble littéralement happé par Renégats de David Gemmell.
- À Bruxelles, des voyageurs descendent et d’autres embarquent, parmi lesquels une lectrice de Marion Zimmer Bradley, une lectrice d’un roman paru dans la collection blanche de Gallimard et une lectrice d’un 10/18 à couverture rouge.
– « Le Premier ministre hoche la tête » dans un gros thriller au titre indéchiffrable, tenu en main par une autre lectrice.
- En face de nous a pris place une Anglaise à cheveux courts et jolie frimousse vêtue d’un manteau vert emma-peelesque. Elle tire de son sac Breakfast at Tiffany’s de Truman Capote dans une réimpression en fac-similé de la première édition Penguin à bandes horizontales orangées.
- Il y a une demi-douzaine d’autres lecteurs dans les voitures 26 et 27.

20 décembre
Paris
– Sur le quai de la station Opéra, direction Ballard, un homme en duffel-coat examine avec attention une carte géographique reproduite dans le Monde musulman des origines au début du XIe siècle de Philippe Sénac. Un peu plus loin, une petite dame tient un livre relié à couverture bleue refermé sur son doigt qui lui sert de marque-page.
– À Palais Royal, monte un jeune homme coiffé d’un bonnet andin, tenant en main la Meilleure Part des hommes de Tristan Garcia.
– Trois heures plus tard dans la même station, une lectrice de la Princesse des glaces de Camilla Läckberg monte dans une rame en direction de la mairie d’Ivry.
– Mystère à la station Grands Boulevards, direction Ballard. Plantée au bout du quai, une dame pincée lit un gros roman paru chez Actes Sud. À la fin du chapitre, elle referme brusquement son livre et se dirige d’un pas résolu vers la sortie. Lui a-t-on posé un lapin ? A-t-elle décidé de faire la route à pied ?
– Osmose. Dans la rame où nous embarquons, un barbu et sa compagne assis côte à côte sont plongés chacun dans un tome de la trilogie Millénium de Stieg Larsson.

21 décembre
- C’est dimanche. Dans une rame de métro roulant vers Ballard, une jeune femme en chapeau cloche, jeans pattes d’eph’ et souliers vernis pointus élève son âme en lisant Mon testament spirituel de Sœur Emmanuelle.
– À l’autre bout du wagon, une autre jeune femme en manteau gris vient d’entamer Don Quichotte dans la traduction d’Aline Schulman. À ses pieds repose un énorme sac de voyage.
- Changement de ligne. Gare de Lyon monte un homme au visage pointu coiffé d’une casquette, qui s’assoit et ouvre Tristes tropiques de Lévi-Strauss. Il descend à la BNF.
– Quelques heures plus tard, sur la même ligne mais en direction inverse, une dame arbore les Sortceliers de Tara Duncan. Il y a deux autres lecteurs dans la rame.
– Sur la ligne 3, direction Pont de Levallois, une jeune femme assise lit Last Chance Saloon de Marian Keyes, qu’elle tient de la main gauche. La droite repose sur sa jambe, poing fermé sur le pouce, en un geste enfantin émouvant. Elle descend à Havre-Caumartin.
– Dans le RER en direction de Boissy Saint-Léger, une dame élégante s’informe du moral des cadres en parcourant L’open space m’a tuer d’Alexandre des Isnards et Thomas Zuber.
– Ligne 3, direction Galliéni, on s’écrase dans le wagon. Indifférente à la presse, une femme dévore avidement un Agatha Christie. C’est qu’elle approche de la fin et qu’Hercule Poirot s’impatiente. « Certainement pas ! », s’écrie-t-il à la page 220. L’inspecteur Sharpe en reste comme deux ronds de flan.
– À Arts et Métiers, entre un jeune homme au cheveu ras, à la barbe de trois jours. Lui vient seulement de commencer l’Homme aux cercles bleus de Fred Vargas.

22 décembre
– Il est 8 h 12 et il fait toujours nuit lorsqu’un grand-père et sa petite-fille s’arrêtent devant la vitrine d’une boulangerie de la rue Cadet et décident d’entrer acheter un gâteau. Il tient à la main l’Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme de Joseph Leclerc.
– Une dame pressée descend la rue La Fayette en serrant sur son cœur un thriller de Ken Follett.
Dans le Thalys Paris-Liège
– En face de nous, un couple franco-espagnol très épris. Entre deux bisous, elle lit Malinche de Laura Esquivel et lui Lord Arthur Saville’s Crimes d’Oscar Wilde dans une édition Penguin.
– Une jeune femme s’est endormie sur Guerre et paix de Tolstoï. Une autre, bien réveillée, est plongée dans Trace de Patricia Cornwell. Non loin d’elles sont assises une lectrice de John McGahern (Pour qu’ils soient face au soleil levant) et une lectrice de Bachelard (l’Intuition de l’instant).
– La série « grands détectives » de 10/18 a la cote auprès de deux autres dames lisant respectivement un Arthur Upfield et un Frank Tallis. Un troisième amateur de polars a posé sur sa tablette Riches, cruels et fardés d’Hervé Claude.
– À Bruxelles monte un grand gaillard qui s’installe de l’autre côté de l’allée centrale, ouvre Makers of Modern Strategy, from Machiavelli to the Nuclear Age de Peter Paret, et entreprend d’assourdir ses voisins en écoutant plein pot de la musique solidement rythmée sur son baladeur mp3. Un coup de fil nous apprend qu’il se rend à Cologne et qu’il n’a pas reçu le mail de son interlocuteur (mais il répondra demain, c’est promis).

Merci à Mrs Locus Solus de son précieux concours.


Lundi 22 décembre 2008 | Ce qu'ils lisent |

3 commentaires
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Il me semble que les “ils” (lisent) sont surtout des “elles”. Non?

Commentaire par Caroline Lamarche 01.16.09 @ 9:05

Sapristi, oui….

Commentaire par Herbert 01.16.09 @ 9:06

Juste un détail : même depuis son décès — survenu depuis ce billet, hélas —, l’écrivain J. G. Ballard n’a toujours pas les honneurs d’une station de métro parisienne, contrairement au chimiste Antoine-Jérôme Balard…

Commentaire par George Weaver 09.08.12 @ 3:27



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