Au soleil noir de Billie Holiday

Dans notre série « Profitons de l’effondrement du marché du disque pendant que ça dure et avant qu’on n’ait plus que des mp3 tout pourris à se mettre dans les oneilles», l’intégrale des enregistrements Columbia de Billie Holiday, qui coûtait un pont voici quelques années — dans un emballage, il est vrai, beaucoup plus luxueux —, se négocie à présent aux alentours de vingt-deux euros. Le coffret compte dix CD, faites le calcul.

À part quoi, la musique est sublime, mais vous le saviez déjà. Ceux qui ne connaîtraient que la Billie déchirante des années Verve seront conquis par la fraîcheur juvénile et même l’insouciance de ces séances des années 1930 et 1940. C’est la face solaire du génie de Holiday, moins célébrée que sa face crépusculaire devenue iconique, mais qui est partie intégrante de sa persona musicale. Passé des débuts un peu tâtonnants avec Benny Goodman (à qui l’avait recommandé l’infatigable dénicheur de talents John Hammond), on découvre une chanteuse de vingt ans en pleine possession de ses moyens, qui ravit par l’émotion sans emphase, la grâce ou l’humour avec lesquels elle plane comme en apesanteur sur un répertoire où de solides standards alternent avec les chansonnettes oubliables de Tin Pan Alley. Holiday a su d’emblée tirer le meilleur parti d’une tessiture étroite et d’un timbre vocal qui fait chavirer le cœur, en s’appuyant sur un sens instinctif de la paraphrase et du tempo. Elle chante fréquemment avec un léger retard sur le temps, comme un chat qui s’étirerait nonchalamment sur la partition. Il en naît un swing décontracté, en parfaite osmose avec celui de Lester Young. Entre ces deux-là, l’entente est télépathique. Ils s’anticipent et se prolongent l’un l’autre. Lorsque le ténor déplie ses volutes vaporeuses derrière la chanteuse, leurs deux lignes mélodiques s’entrelacent comme les branches d’un lierre.

Les plus belles de ces faces de trois minutes ont la perfection d’une miniature. Elles réalisent sans effort apparent un équilibre idéal de l’élaboration et de la spontanéité. Au sein de l’orchestre de Teddy Wilson, qui est la classe et l’élégance mêmes, puis avec sa propre formation où l’on retrouve sensiblement le même personnel, Holiday a réinventé le rapport entre parties vocale et instrumentale. Ce n’est pas une chanteuse devant l’orchestre qui l’accompagne, mais une musicienne parmi ses pairs — et non des moindres : outre Lester Young, Roy Eldridge, Ben Webster, Buck Clayton, etc. La voix se fait instrument à part entière, la partie chantée devient un solo qui s’insère en souplesse entre les chorus de ses partenaires. Une leçon que n’oublieront ni Anita O’Day ni le Mel Tormé des séances avec Marty Paich (Too Close for Comfort, I Love to Watch the Moonlight).

Nice Work If You Can Get It (1937).
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/bh01.mp3]
Easy to Love (1936).
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/bh02.mp3]
Me, Myself and I (1937).
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/bh03.mp3]

The Complete Billie HOLIDAY on Columbia (1933-1944). Sony Music/Columbia Legacy.


Vendredi 11 décembre 2009 | Dans les oneilles |

6 commentaires
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Evidemment, l’objet est tentant (bien que je DÉTESTE les coffrets) et que cela va “doublonner” en diable; on peut supposer que le son est bon - mais quid du livret ? sessions, dates, et personnel ? (ils ne sont jamais contents!).

Commentaire par Raminagrobis 12.17.09 @ 4:33

Son remastérisé. Livret de 64 pages incluant tous les renseignements discographiques souhaitables ainsi qu’un fort utile index des chansons.

Commentaire par th 12.17.09 @ 5:56

Les idées heureuses sont en suspens, mais le blogueur refait des siennes (voir lien). Merci pour Billie - et d’évoquer Mel Tormé, une de mes grandes passions secrètes !

Commentaire par Didier da 12.17.09 @ 8:18

Ah, le blogovirus a donc triomphé, vous m’en voyez ravi.
Mel Tormé a fait une entrée tardive dans mon panthéon, et je continue de lui préférer le Sinatra de la grande époque, mais les séances avec Marty Paich (un de mes arrangeurs West Coast préférés) sont épatantes. La manière dont la voix du Velvet Fog s’entrelace aux orchestrations, miam !

Commentaire par th 12.20.09 @ 1:35

bonsoir, merci pour ce billet ;-)
J’aimerais aussi savoir où ce coffret se négocie -t-il à 22 euros. Je l’ai vu sur amazon plutôt aux alentours de 130 euros.
Sans vouloir vous déranger, ce serait gentil de m’indiquer le filon; je suis passionnée de ces chansons.
Merci, bonnes fêtes,
laurence.

Commentaire par laurence 12.25.09 @ 5:04

Eh bien, sur Amazon, précisément, où il est à présent à 23 euros :
http://tinyurl.com/yc5habz

Celui que vous avez vu devait être la première édition, très luxueuse (grand coffret au format 33 tours).

Commentaire par th 12.25.09 @ 12:13



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