Paris (suite)
25 mars
— À Pasteur, direction Étoile, une dame en imper de privé, apostée tout au bord du quai (décidément, c’est une manie), lit la Conspiration de Paul Nizan. Assis dans la position du penseur de Rodin, un quadragénaire est plongé dans les romans de Walter Scott, dans l’édition de la Pléiade. Le volume est ouvert sur son genou.
— Gare Saint-Lazare, une jeune femme en manteau d’esquimau a elle aussi adopté la pose du penseur de Rodin pour lire les Femmes du braconnier de Claude Pujade-Renaud.
— À Miromesnil, direction Mairie de Montreuil, deux jeunes filles discutent vivement au bout du quai. La brunette en bleu agite un exemplaire de Syngué Sabour d’Atiq Rahimi sous le nez de sa copine.
— À Chaussée d’Antin, direction Mairie d’Ivry, une jeune femme surgit sur le quai, qui lit en marchant le Lys dans la vallée de Balzac. Une ado tout en noir a ouvert le Gang des mégères inapprivoisées de Tom Sharpe.
— Dans le wagon, une dame plongée dans un roman de Christian Jacq, et deux autres lectrices en vis-à-vis, dont une quinquagénaire permanentée, l’air très pincé, lisant un volume du Séminaire de Lacan.
— Sur le quai des Gobelins, une femme en veston cintré sur jeans pattes d’eph’ lit le Septième Voile de Juan-Manuel de Prada. Elle monte dans un wagon où se trouve une lectrice de Shutter Island de Dennis Lehane — c’est une blonde menue vêtue de gris et de noir.
— Métro Place d’Italie, un homme en veste de cuir, au crâne entièrement rasé à l’exception d’une longue queue de cheval, s’absorbe dans le Tailleur de pierre de Camilla Läckberg. Plus loin, un jeune homme a le nez dans l’Espace de la révélation d’Alastair Reynolds. Une demi-douzaine d’autres lecteurs des deux sexes sur le quai bondé.
— À Pasteur, direction Mairie d’Issy, paraît une autre lectrice de Shutter Island — cheveux châtain ondulés, manteau olive sur pantalon noir.
— Dans le wagon, une dame tout en noir lisant la Nostalgie de l’ange d’Alice Sebold. Un trentenaire déplumé au nez pointu vêtu d’un pull violet s’initie à la Tactique générale de l’armée de terre (préface du général de corps d’armée Antoine Lecerf).
— À Vaugirard, le croiriez-vous ? monte une troisième lectrice de Dennis Lehane. Cheveux cendrés, long manteau vert sur jupe grise, elle ne lit pas Shutter Island mais Prières pour la pluie.
— Et nous voici porte de Versailles, à deux pas du Salon du livre. Deux lectrices sont adossées à deux lampadaires distants de quelques mètres. Le manteau rouge lit Spin de Robert Charles Wilson ; le manteau noir, Trinités de Nick Tosches.
26 mars
— Dans un wagon de métro encore, mais sur quelle ligne ? Mes notes sont illisibles. En tout cas, il y avait une femme en noir un peu sorcière — cheveux aile de corbeau, fard turquoise aux paupières — lisant Maléfices de Maxime Chattam. En face d’elle, un jeune homme en veste à carreaux s’absorbant dans le Règne de la quantité et les signes du temps de René Guénon. Et plus loin, assis sur un strapontin, un type rougeaud et mal réveillé lisant le Petit Saint de Simenon. Enfin, sur le quai d’une station, une jeune femme tenant en main la Clinique du docteur H de Mary Higgins Clark.
29 mars
— Métro Sèvres-Babylone, direction Gare d’Austerlitz, une grande blonde assise est plongée dans D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère.
— Dans le wagon, un monsieur ressemblant à Guy Vaes avec un nez aquilin savoure un dialogue de Platon dans un vieux fascicule jauni. Debout, une nouvelle lectrice, rousse, de la Nostalgie de l’ange, et une quadragénaire lisant Chaleur et Poussière de Ruth Prawer Jhabvala.
Beaucoup, beaucoup de lecteurs (et surtout de lectrices, comme toujours) dans la rue et les transports en commun ce printemps à Paris. J’en ai loupé une bonne trentaine, trop loin ou s’obstinant à dissimuler le titre de leur livre.
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